Monsieur P. m'avait déjà confié l'écriture des aventures de sa vie professionnelle palpitante. A l'occasion d'une recommande de livres, puisque les demandes ont été plus nombreuses que les exemplaires de son stock, nous nous sommes retrouvés à parler d'un texte manuscrit encadré dans son salon.
Sur le vieux papier jauni à petits carreaux, une jeune plume avait partagé sa frustration d'être trop jeune pour rejoindre les soldats sur le front. Il avait 17 ans et voulait se battre. Ce poème adressé à une maman trop protectrice datait de 1916. J'en étais perplexe. Cet élan patriotique n'était pas celui de 1914, quand chaque Français pensait que les combats ne dureraient que quelques semaines, quelques mois au pire. Non, en 1916, les soldats étaient partis depuis bien longtemps, certains étaient revenus estropiés, et les échos de l'horreur du front commençaient à s'ébruiter. Rien ne laissait penser que la victoire était en route, bien au contraire.
Nous avons longuement discuté de ce père qui s'était engagé dès ses 18 ans et de ce silence qui suivit son retour, de cette expérience qui avait fracturé sa vie de jeune homme.
Monsieur P. sortit les archives désordonnées qui lui restait de ce père si peu bavard. Nous avons ensemble reconstitué le fil de cette vie marquée par deux fois par la guerre. "Je vous les confie, je sais qu'elles sont entre de bonnes mains. Je n'y trouve pas grand chose d'intéressant mais je sais que vous saurez écrire un petit quelques chose qui lui rendra hommage."
J'en suis honorée et enthousiasmée...