Quand les maîtres d'école habitaient au dessus de leur classe (Alpes, Début XX°siècle)
Les parents de Mme L. étaient donc enseignants dans les Hautes-Alpes. Leur premier poste conjoint (début des années 40) les avait emmenés dans le Dévoluy, au-delà du col du Festre, col difficilement franchissable l'hiver, dans une vallée des plus rudes. Ils y menaient une vie simple dans un village quasiment autarcique et sommaire. Son père pêchait des truites dans le ruisseau en contre-bas de l'école pour le repas du midi. Les enfants marchaient plusieurs kilomètres pour se rendre en classe. L'hiver, ils portaient une bûche sous le bras et suivaient la trace faite dans neige qui dépassait leur tête. Leur bois alimentait le poêle de la classe, chaque famille participait ainsi au chauffage. La cour de récréation était en réalité la place du village, certains allaient même faire un tour chez eux le temps de la pause. Les temps ont bien changé...
Les parents de Mme L retournaient régulièrement à Gap rendre visite à leurs parents, mais point de train, ni de bus, ni de voiture pour parcourir les dix-sept kilomètres jusqu'à la vallée. Juste une route praticable à pied ou à vélo, quand la rivière ne l'emportait pas dans ses crues. Trois ou quatre heures de marche avant d'atteindre la gare au creux de la vallée, aux quatre saisons, sans puis avec les enfants ! Et bien, c'était ainsi, on faisait avec, on avait de bonnes jambes ! Une fois même par temps de neige, la trace de la route fut effacée, sa mère a basculé dans la pente et ses roulades l'ont faite atterrir sur le plat de la route perdue, sans cela qui sait jusqu'où ils se seraient perdus...
Les parents de Mme L. lui ont raconté bien des épisodes de cette vie rude dont pourtant ils gardaient la nostalgie sincère d'un village solidaire. La rudesse y côtoyait la chaleur humaine réconfortante.
De cette école, ils lui ont aussi raconté une cocasserie qui les avait longtemps fait rire.
Instituteurs jeunes mariés, ils logeaient dans l'appartement au-dessus de l'école des garçons, au bord d'un ruisseau. Des jeunes gens très curieux d'anatomie et d'éducation intime montaient le soir aux arbres de la rive pour les observer se déshabiller dans leur chambre. Le couple d'enseignants n'a pas été dupe bien longtemps. Ils auraient pu les réprimander par la fenêtre, mais non, ils ont préféré faire preuve d'humour. Comme cela pouvait se faire alors, ils ont jeté, l'air de rien, le contenu de leur pot de chambre par la fenêtre mais en visant bien l'arbre qui supportait les vilains curieux ! Après avoir entendu crier : « C'est de la pisse ! », ils n'ont plus jamais vu quiconque dans cet arbre. Une vilaine blague, une pincée d'humour, fonctionnent parfois mieux qu'un long sermon. Et personne ne leur en tint rigueur puisque bien des années après, lors de balades dominicales, son père fut bien ému de voir d'anciens élèves devenus de grands adultes pleurer de le rencontrer dans les rues du village...
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