Celui qui gardera le mystère / Celle qui n’avait rien demandé
Qui s’étonne de voir un homme en slip enfiler son costume caché derrière une jardinière au milieu d'une place bondée ? Qui s’étonne de voir des agents de sécurité danser et faire des acrobaties avec un gorille et une barrière de sécurité ? Qui s’étonne de voir un homme se promener avec une peluche de sa taille sur le dos ? Qui s’étonne de voir des comédiens boire un café autour d’un âne sur roulettes cousu d’un patchwork de fourrures ? Plus personne !
Tout cela, je l’observe depuis la terrasse d’un café qui doit être un des rares à entretenir son rythme habituel : les serveuses papotent de leur soirée entre elles, le café est servi avec calme sur un fond de musique électro-lounge. Elles ne sont pas du genre à bousculer les clients pour qu’ils laissent leur place à de nouveaux arrivants prêts à débourser encore quelques euros. Il faut être patient, mais c’est agréable de ne pas être bousculé.
L’équipe radio est tendue, les comédiens ne sont pas au rendez-vous. Il faut combler le temps que l’assistante joigne ces invités absents : un peu de musique par-ci, un peu de blabla par-là. Tout ce petit monde arrive au pas de course. Ce sont les aléas du direct !
Celui qui gardera le mystère
Deux Canadiens s’installent rapidement et racontent combien être à Avignon est un rêve qui se réalise. Oui, ce festival est connu de tous les amoureux du théâtre, même par delà l’Atlantique ! Je les interrogerais bien, mais l’arrivée du comédien au nounours géant attire mon regard. L’homme d’allure plutôt classique (quoiqu’un géant nounours soit ajouté à sa tenue) s’exprime avec une touche d’exubérance pour décrire sa comédie cabaret. Quel rapport avec ce nounours ? Aucun, il est son compagnon de scène pour une autre pièce, plus intime, plus personnelle, plus émouvante : Mon Petit Grand Frère. Le ton de sa voix se fait plus sérieux pour parler de cet accident de la vie qui a fait de son grand frère son petit grand frère puis comment sa famille et lui ont traversé cela.
Alors qu’il répond à l’animateur, une dame que je reconnais s’assoit à côté de moi. L’assistante cherche Firmine Richard, elle est à ma gauche sur ce banc public. Aurais-je le temps d’interroger les deux ? J’intercepte le porteur de nounours pendant que la comédienne attrape le micro.
Vous souvenez-vous du jour où vous avez décidé d’être comédien ?
« Oui, très bien. Il faut venir voir le spectacle pour le découvrir ! »
Racontez-moi le jour où vous vous êtes dit : « Ça y est, j’y suis, je suis comédien ! »
« Hummmm… Chaque fois que je suis sur scène en fait ! »
Et tout ça, grâce à qui ?
« Venez voir mon spectacle, vous comprendrez ! »
L’homme cherche autour de lui ses éventuels prochains spectateurs et me quitte pour aller les aborder en souriant. Je n’en saurais pas plus ! Donc, vous comme moi devrons nous rendre à sa représentation pour découvrir la corrélation entre lui, son frère, l’accident de vie et le théâtre
Celle qui n’avait rien demandé
De retour sur mon banc, j’entends parler d’Olympe de Gouges, d’esclavagisme, de lutte… Voilà le thème de la pièce que vient présenter la comédienne connue pour son accent et sa bonhomie guadeloupéenne. C’est elle qui clôt l’émission. J’ose l’approcher. Bien qu’elle ait l’air dubitative, elle accepte de répondre à mes questions.
Vous souvenez-vous du jour où vous avez décidé d’être comédien ?
« Ah, ah, ah, je n’ai rien choisi ! Je travaillais dans le tertiaire, j’étais en vacances à Paris, je mangeais dans un restaurant vers deux heures du matin. Une femme est venue me demander si ça me disait de jouer dans un film. La directrice de casting n’avait pas trouvé de profil intéressant et promenait dans Paris pour le chercher. C’était pour Romuald et Juliette de Coline Serreau. Après ça, les projets se sont succédé, moi je n’avais jamais rêvé de tout ça ! C’est le cinéma qui est venu me chercher. »
Racontez-moi le jour où vous vous êtes dit : « Ça y est, j’y suis, je suis comédien ! »
« Sur le tournage de Romuald, je disais tout le temps à Daniel Auteuil que je n’étais pas comédienne, ça n’était pas évident. Puis un jour, il m’a dit que si Coline m’avait choisie, c’est qu’elle savait que je pouvais l’être. Elle l’avait senti pour moi. Ce sentiment est venu à mon retour des USA. La méthode d'acting que j’y ai apprise m’invitait à n’être que moi, tel que je suis, avec ma personnalité, mon physique, mes émotions. Vu comme ça, j’assumais beaucoup mieux ma place d’actrice. Il y a bien eu des moments où j’ai pensé retourner à ma vie d’avant, mais à chaque fois on est venu me chercher pour un nouveau projet !»
Et tout ça, grâce à qui ?
« À la directrice de casting de Coline, évidemment. Sans cette rencontre, la semaine suivante je rentrais reprendre le travail en Guadeloupe !»
Il y a des gens qui connaissent des virages de vie réellement inattendus ! Moi, pour le moment, ce sont des scènes inattendues qui m'attendent à tous les coins de rue sur mon chemin de retour !