Celle qui ne savait pas quoi faire en terminal / celui qui avait fait comme chez lui
Les voilà, les chapeaux, les gourdes, les visages rougeoyants… et les cigales ! Ça y est, nous sommes en juillet, pour de vrai. Partout dans les rues, la chorale estivale des cigales chante sans discontinuer. Partout les promeneurs cherchent l’ombre.
10 heures, Avignon s’éveille : ballet des camions de fournisseurs de restaurant, brunch aux terrasses, tracteurs à l’échauffement. Mon café habituel est déjà rempli, impossible de trouver une table. Dès qu’un client se lève, un autre surgit et se faufile prendre sa chaise. Cinq minutes de patience suffisent pour enfin commander mon café. Oui, le festival a passé la vitesse supérieure : très régulièrement, les troupes crient leur présentation sur la place ou circulent entre les tables distribuer leur tract. La concurrence est rude. À côté de moi, un couple de retraités déroule leur planning optimisé et trace sur la carte de la ville leur parcours du jour, allant d’un théâtre à l’autre, aux quatre coins de l’intra-muros. « L’important, c’est qu’on soit bien chaussés », conclue la femme.
Celle qui ne savait pas quoi faire en terminal
Fidèle devant le studio d’enregistrement, je fais au mieux pour tendre l’oreille. Les cigales, la troupe de claquettes, le camion des pompiers avec son deux tons, et l’amicale des SDF de la place heureux de se retrouver, couvrent les interviews. J’entends « Coco Chanel… toutes ses facettes… part obscure… chant… pianiste… » L’invitée cède sa place et je l’interpelle au vol.
Vous souvenez-vous du jour où vous avez décidé d’être comédienne ?
« En fait, je suis artiste lyrique à la base. Disons : le jour où j’ai décidé d’être artiste ? Et bien, il a fallu que je fasse un choix en terminal, comme beaucoup d’adolescents. Je ne savais pas trop quoi faire de ma vie. Je faisais déjà du chant, ça me plaisait énormément. Rien ne me tentait vraiment en dehors du chant, mais en même temps, j’étais très inquiète des revenus que j’en tirerais. Alors, soyons clairs, on ne choisit pas ce genre de carrière juste pour être riche ! On serait vite déçu ! Mais, si on travaille sérieusement, on peut gagner sa vie. »
Racontez-moi le jour où vous vous êtes dit : « Ça y est, j’y suis, je suis comédienne ! »
« C’est une question difficile, on est toujours en évolution. Je parlerais quand même de ce jour où j’ai été sélectionnée troisième sur 250 candidats à un concours de chant. Je me suis dit que c’était un bon début ! Et d’un projet à l’autre, j’ai bifurqué vers les comédies musicales, puis les pièces musicales pour enfants, puis le théâtre ! Mais il y a toujours du chant et de la musique dans mes créations ! Aujourd'hui, ma compagnie fait 80 dates par an et, grâce à ça, cinq comédiens ont leur intermittence. J'en suis assez fière. »
Et tout ça, grâce à qui ?
« Sans hésitation, à mes parents. Ils m’ont toujours soutenue, ça m’a donné de la force ! Sans leur soutien, je ne suis pas sûre que j'aurais osé. »
L’heure du repas approche et les badauds cherchent une table qui les inspire, les tracteurs avec leur déguisements improbables s’échangent des tracts en plaisantant. La pause annoncée semble détendre l’ambiance.
Celui qui avait fait comme chez lui.
Une voix forte attire l’attention : « Il était une fois… il était deux fois… il était trois fois… », l’homme debout en plein soleil interpelle les passants avec un grand sourire. Son tract exotique et sa bonne humeur dénotent une personnalité chaleureuse. À ma première question, son regard cherche dans le vague.
Vous souvenez-vous du jour où vous avez décidé d’être comédien ?
« Pas facile… Il y a eu un événement, oui. C’était à Rennes, j’étais venu faire mes études de sociologie. Il y avait un festival, j’étais à une réunion de préparation et un conteur faisait faux-bond. Il leur fallait trouver rapidement un remplaçant. Je me suis lancé: “Moi, je peux !” Chez nous au Sénégal, c’est une habitude de conter, surtout chez les anciens. J'ai toujours conté au Sénégal alors, j'ai osé tenter. Un programmateur de Nantes m’a appelé la semaine suivante pour faire une date chez lui parce que j’avais fait du bon travail à Rennes. Je me suis dit que c’était peut-être intéressant d’explorer cette voix. »
Racontez-moi le jour où vous vous êtes dit : « Ça y est, j’y suis, je suis comédien ! »
« Le jour où on m’a proposé un cachet de 2 500 € pour un spectacle au Sénégal, j’y ai vu une sorte de reconnaissance. Pour moi, ça voulait dire que ce que je faisais, c’était sérieux et de qualité. Depuis, je suis devenu directeur d’une école artistique à Dakar où je travaille à moderniser l’art traditionnel du conte. »
Et tout ça, grâce à qui ?
« À ma détermination ! Il n’y a pas de mystère : il faut tenir bon, croire en ses projets et s’y investir avec sérieux pour que ça marche ! »
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