Celle qui baissait les yeux / celui qui avait fui la scène
Ce matin, pour une fois, j’entre par la rue de la République. Hier soir, les terrasses y débordaient des trottoirs, des écrans géants retransmettaient un match, des vendeurs à la sauvette côtoyaient des performeurs de rue. L’ambiance y était populaire et conviviale. Ce matin, les tracteurs rappellent que se jouent des centaines de pièces en ville aux promeneurs qui ne sont pas tous festivaliers. Les Avignonnais cachés dans leurs bureaux, partis à l’usine ou au boulot la semaine, flânent à leur tour dans les rues de leur ville, comme à leur habitude.
Celle qui se cachait sous la table
Un petit bout de femme me pose un tract dans la main, audacieuse, en me parlant avec douceur et gentillesse de ses trois spectacles. Des yeux pétillants et un sourire chaleureux, elle est curieuse d’entendre mes questions.
Vous souvenez-vous du jour où vous avez décidé d’être comédienne ?
“Au collège, parce que je voulais arrêter d’être timide. Je vivais les yeux baissés, on ne m’entendait pas. Ça ne pouvait pas durer, je me suis dit que le théâtre allait m’aider. Le premier lever de rideaux, les premiers applaudissements de spectateurs m’ont transporté. C’est un sentiment grisant. Passer de l’effacement total à l’exposition publique, être encouragée par l’approbation du public, c’est juste extraordinaire.”
Racontez-moi le jour où vous vous êtes dit : “Ça y est, j’y suis, je suis comédienne !”
“Intégrer une troupe, monter des projets, avoir de bons retours et surtout recevoir le papier officiel de l’intermittence, c’est comme ça que peu à peu je me suis sentie comédienne. Le statut d’intermittent officialise les choses.”
Et tout ça, grâce à qui ?
“À ma prof de théâtre à Aix-en-Provence, c’était il y a longtemps ! Elle m’a appris ce qu’il fallait pour évoluer dans cet univers. Je vis théâtre depuis, grâce à elle. Ah et puis, si quand même, grâce à Jacqueline Maillan. Le soir, je devais être au lit, mais au lieu de ça, je revenais à quatre pattes me cacher sous la table et regarder au Théâtre ce Soir avec Jacqueline Maillan. Elle me donnait des étoiles dans les yeux !”
Celui qui avait fui la scène
Mon fils ado saute d’un plot à l’autre comme un ninja et un grand monsieur en tenue coloré lui tend un tract au vol en rigolant. Contre toute attente, il ne nous annonce pas une comédie haute en couleur et bon enfant, mais un classique mis au goût des années 80 : les Mousquetaires ! C’est un projet audacieux que d’adapter un récit connu, d’en garder l’esprit, la lettre, et de lui donner un décor très marqué comme celui des années pop-rock-fluo. L’homme blague facilement.
Vous souvenez-vous du jour où vous avez décidé d’être comédien ?
“Oh là oui ! Un mauvais moment ! Une fête de comité d’entreprise avec un magicien qui m’a choisi dans l’assistance pour monter sur scène à ses côtés. J’avais sept ans, je me retrouvais sans le vouloir devant des centaines d’yeux qui me scrutaient. J’ai paniqué, je suis parti en pleurant ! Le magicien ne savait pas qu’il avait choisi un petit garçon ultra timide qui n’osait pas parler aux inconnus, aux adultes ! Après ça, je me suis dit que je devais faire quelque chose pour me soigner. Ma mère avait été costumière de théâtre avant d’être à la banque. C’est elle qui m’a mis sur le chemin du théâtre.”
Racontez-moi le jour où vous vous êtes dit : “Ça y est, j’y suis, je suis comédien !”
“Lors de mon premier spectacle à l’école de théâtre, j’étais sur scène, les gens me regardaient, je parlais fort et tout allait bien. Finalement, je me sentais à ma place !”
Et tout ça, grâce à qui ?
À mes parents, à la fois parce qu’ils m’ont laissé faire malgré leur inquiétude et aussi parce que leur inquiétude était un moteur pour que je réussisse. Je devais leur prouver que je pouvais y arriver et en fin de compte, c’était une chance pour moi qu’ils aient été sur leur réserve. Aujourd’hui, oui, être comédien, c’est un pari risqué. Tout dépendra de ce qu’il sort des élections… »
Le pays se crispe à quelques heures des élections, le festival ne connaît pas la sérénité estivale habituelle. Quoiqu’il fut émaillé d’autres conflits sociaux par le passé, cette année, c’est plus que de la crainte qui mobilise les professionnels, c’est la peur de voir s’effondrer un pan entier de la culture française.
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