Un texte long comme une nuit aux urgences!
Le horaires sont bien sur plus indicatifs qu'exacts!
19h00 : l'heure de répondre à l'invitation sonne, il faut se préparer. Nouer les lacets provoque une torsion étrange dans l'aine droite. Sensation connue, sans conséquence, pas d'inquiétude.
Une grande faiblesse assaille le corps dans l'escalier... quoi de plus normal ? Le ventre est plein de trois jours de fête en famille, la fatigue de la route accumulée, le mot d'ordre pour la soirée est diète, du moins grande modération.
20h00 : Manque d'appétit, le repas se fait pantalon ouvert sous le pull. Le ventre est gonfle, les intestins sensibles et la douleur à l'aine revient, pénible.
21h00 : la position assise n'est plus supportable, une douleur gênante envahie le ventre. Les passages aux toilettes semblent l'aggraver. Le doliprane reste sans effet. La soirée est raccourcie. Un bon sommeil devrait arranger les choses.
22h00 : aucune position ne soulage la douleur grandissante. Les vomissements répétés à l'épuisement n'atténuent pas la tension, en bas à droite, logée dans le creux, près de l'os du bassin.
J+1, 1h00 : la douleur n'offre aucun répit. Le médecin du Samu entend "douleur incessante à coté de l'iliaque" et conseille une consultation aux urgences. Pourvu qu'elles ne soient pas saturées, pourvu que les vilaines histoires entendues à son propos ne deviennent pas réelles ... Seule solution pour trouver quelqu'un qui sache soigner...
Aller à la voiture, marcher jusqu'au bureau d'accueil relève d'un parcours du combattant pour le corps assailli.
J+1, 1h20 : deux minutes pour l'enregistrement, dix avant la première auscultation. Chance , bonne étoile !
J+1, 1h30 : les constantes sont bonnes, bien que la tension est faible. Pas de fièvre mais un abdomen en défense à la palpation. Un anti-douleur glissé dans la bouche sèche peine à fondre.
J+1, 1h40 : dépôt dans la salle d'attente des brancards, face à un homme bien éveillé qui passe le temps à regarder les torsions et les petits gémissements que provoquent la douleur devenue difficilement supportable.
J+1, 2h30 : un patient enroulé dans son manteau ronfle et fait office de compagnon d'infortune. Qui sera le prochain pris en charge? Aucune blouse blanche en vue depuis la mise en attente. Impossible de fermer l’œil, la douleur tient le corps en éveil et éteint les velléités de discrétion.
J+1, 2h45 : une blouse blanche s'étonne que le médicament n'agisse pas. Prise de sang, dépôt dans un box. La jeune femme tremble pour poser le cathéter tant elle est désœuvrée devant la plainte constante. La morphine permet enfin de goûter au calme d'un corps apaisé... Le sommeil vient...
J+1, 3h45 : quelque chose gêne, il faut ouvrir un œil. Quelque chose fait mal, il faut se réveiller. L'esprit reprend l'alerte : douleur, urgences, morphine. La douleur est revenue plus puissante. La chambre est éteinte, la porte est ouverte, les couloirs silencieux. Personne. Impossible de taire la douleur... Quel degré de gravité représente le mal à l'attaque ? Tout est imaginable tant la douleur prend le pas sur la raison.
J+1, 4h15 : mais au fait, où est la sonnette ?... Nulle part. La douleur débordante expulse des cris, des gémissements, des coups de pied et de poings sur le brancard. La taire en mordant la main soulage à peine. Des blouses blanches passent et détournent le regard. Le simple effleurement du doigt sur le ventre provoque un bond sur le matelas. En remettre sa douleur à Dieu, peut-être que lui entendra.
J+1, 4h50 : une voix douce me parle, un ange ? Comment le sommeil a t-il pu taire la souffrance ? Nouvelle dose de morphine, sonnette posée à proximité. « On vous emmène au scanner ». Les transferts de brancards réactivent la lame qui lacère les entrailles. Le corps frissonne.
J+1, 5h10 : la douce voix annonce :« Une belle appendicite aiguë, opération dans la matinée ». Soulagement. Merci la morphine, merci la douce voix.
Sommeil, sommeil, sommeil....
J+1, 9h00 : « Trop d'afflux de jambes cassées, manque d'anesthésistes... Pet-être un créneau entre deux, d'ici ce soir ». Peu importe, le ventre est en sourdine, tant que la morphine fonctionne...
J+1, 12h : un jeune chirurgien drôle et adorable rassure quant à l'intervention banale, un anesthésiste sympathique rassure quant à sa capacité à tranquilliser ses patients inquiets. Tant que la morphine fonctionne...
J+1, 15h30 : décollage ! Des blouses blanches attentionnées accompagnent au doux sommeil salvateur...
J+1, ...h... : une forte lumière, des rires sonores, le corps englué, une douleur paralysante... « Je vous mets une dose de morphine ».
J+1, ...h... : une forte lumière, des rires sonores, le corps englué, une douleur paralysante... « Je vous mets une dose de morphine ». Un peu de calme, c'est possible ?
J+1, ...h... : une forte lumière, des rires sonores, le corps englué, une douleur paralysante... « Je vous mets une dose de morphine ». Le calme devrait être à la l'ordre du jour de la prochaine réunion de service...
J+1, 19h00 : enfin du calme, des infirmières douces et bienveillantes veillent au confort et au soin. Des anges... en visite toutes les deux heures.
J+2, 9h00 : « On en a profité pour réséquer l'hernie ombilicale »... Inconnue au bataillon, mais deux opérations en une, quelle aubaine !
J+2, 11h00 : « Vous voulez sortir ce midi ou demain ? », qui est l'expert sur la question ? Aurait-on besoin de lits ?
J+2, 13h00 : sortir en priant qu'aucune complication n'oblige le retour dans l'angoisse des urgences, à la fois trop silencieuses et trop agitées.
J+2, +3, +4 … Des cauchemars d'impuissance totale face au péril imminent.
Réaliser qu'en France, en 2023, on peut encore vous laisser souffrir sans diagnostique dans un couloir vide.
Repenser à tout ce personnel, doux et attentionné, quand il était là. Et se demander contre qui être en colère... Les gestionnaires bureaucrates ? Les multiples gouvernements qui sourient avec compassion aux personnels hospitaliers sans changer le cap des directives... ?
Avoir peur pour soi et les siens qu'un jour, les urgences oublient un être cher sur un brancard... (cf article de La Provence du 6 Janvier 2023 " 32 patients seraient morts d'avoir trop attendu")
Toujours admirer la bienveillance du personnel qui a encore la foi et l'énergie
Image par JR de Pixabay