Celui qui regardait Louis de Funès / Celle qui ne voulait pas être réduite à sa cécité
Que faut-il au festivalier pour passer Une belle journée à Avignon ? Une paire de bonnes chaussures, c'est certain. Une gourde et un chapeau, ça peut être très utile. Du temps et de la patience, c'est plus que nécessaire, c'est vital. Cet après-midi, je n'ai ni l'un ni l'autre. Je tourne en rond depuis vingt minutes dans ce parking bondé, hypnotisée par la chaleur et le crissement incessant des cigales. Je vais rater le spectacle auquel j'ai été invitée, par manque d'anticipation. Un dimanche ensoleillé laissait penser une préférence pour la journée à la mer, les repas en famille: un espoir d'un parking moins rempli. Je renonce, à moins qu'une place miraculeuse s'offre à moi. Et c'est le cas à quelques mètres des remparts. L'heure du spectacle est entamée, dommage. Mais l'envie d'observer l'ambiance dominicale en passant par une nouvelle rue me tente beaucoup. Entrant par la porte Saint-Lazare, la rue Carreterie restaurée offre un calme appréciable. Les gens traînent aux terrasses qui sont installées de loin en loin. Tous les magasins sont ouverts, je n'avais jamais vu ça un dimanche après-midi ! Des odeurs de cuisine flottent et rappellent l'Italie, l'Afrique, l'Asie. Il y en a pour tous les goûts. Des festivaliers attendent sagement en file indienne sous le soleil que les portes s'ouvrent. Un magicien promène sa table pliante sur son dos, trois danseuses chinoises présentent un spectacle de rue, un enfant joue du violon, des étudiants débattent de leur ressenti sur la pièce dont ils sortent, trois personnes essaient d'ouvrir une boite à clés pour poser leurs valises dans la location... J'ai pu repérer le théâtre qui m'invitait pour m'y rendre dans quelques jours, sans être une seule fois abordée par un tracteur. Mon fils m'avait proposé de jouer à ce jeu, tant cela paraît impossible ! Mais là, c'est dimanche, à l'heure de la sieste, un jour de grand soleil. Le doux flots des papotages couvre les cigales, tout le monde prend son temps. Je vais rentrer avec ce même sentiment d'une agréable promenade un jour de marché.
Je vous partage donc des rencontres de cette semaine, gardées en réserve pour les jours infructueux.
Celui qui regardait Louis de Funès
Rue de la République, il suffit de quitter un comédien, de traverser le passage piéton et immédiatement, un autre sonde votre regard et vous tend son tract. Il est jeune, short en chino, basket, chemisette, et barbe bien taillée, « propre sur lui » comme on dirait. Son sourire sincère garde quelque chose de juvénile. Il a envie de présenter le fruit de son travail : une comédie à suspens teintée d'émotion. Deux colocataires qui pourraient être père et fils découvrent qu'ils le sont. Ce jeune homme est bien sympathique.
Vous souvenez-vous du jour où vous avez décidé d’être comédien ?
« Pas vraiment, j'ai toujours été attiré par cet univers. De tout petit, je regardais très souvent Louis de Funès et ma mère m'emmenait voir régulièrement des spectacles, tout en essayant de me dissuader de choisir ce métier ! Mais, c'était plus fort que moi, j'étais attiré par cette voie ! C'est la crise du COVID qui m'a fait me poser la question : qu'est-ce que je veux faire de ma vie. Le théâtre, c'est un pari, mais c'est une évidence.»
Racontez-moi le jour où vous vous êtes dit : “Ça y est, j’y suis, je suis comédien !”
« Les premiers castings où l'on s'intéresse à vous, on vous propose des rôles, c'est rassurant. C'est là que je me suis senti sur le bon chemin. »
Et tout ça, grâce à qui ?
« Mes parents d'abord qui m'ont soutenu, même s'ils pouvaient s'inquiéter. Mais aussi, et beaucoup, je dois un grand merci à mon partenaire de scène, qui m'a pris sous son aile. On a joué ensemble une première fois et depuis, il pense souvent à moi pour des rôles. Ça m'ouvre des portes, ça agrandit mon réseau, ça rend possible de nouveaux projets ! »
Celle qui ne voulait pas être réduite à sa cécité
Un monsieur et une jeune fille en t-shirt rose fuchsia attendent leur tour de participation à l’émission radio. Il lui tient le bras pour l’accompagner à son siège. Pendant son intervention, il m’écoute interviewer une comédienne. Ce petit bout de jeune femme entonne une chanson que je ne connais pas. Sa voix solide, juste et puissante, résonne entre les murs qui entourent la place. Les passants cherchent d’où vient cette voix mélodieuse. Les SDF tous à leur vive discussion politique se taisent et ouvrent de grands yeux pour l’admirer. Elle ne voit rien de tout cela, elle est aveugle. Son accompagnateur m’offre un tract auquel est agrafé un échantillon de pâte à tartiner bio. « Vous savez appâter le client ! » lui dis-je en plaisantant. Nous entamons une discussion avec cet homme qui se révèle être le producteur et père de la jeune fille. Des badauds viennent la féliciter à sa sortie de plateau, son père me la présente. Il se dégage d’elle une folle énergie, une grande sympathie.
Vous souvenez-vous du jour où vous avez décidé d’être comédienne ?
« Et bien, je suis musicienne, chanteuse, musicologue, mais pas comédienne. Alors, le jour où j’ai décidé d’être artiste ? C’était le jour où j’ai participé aux sélections belges de l’Eurovision. J’ai découvert l’univers de la scène professionnelle et ça m’a donné envie de continuer ! J’ai tout de même poursuivi mes études en psychologie et musicologie à côté, mais je n’ai pas lâché cette envie de scène. »
Racontez-moi le jour où vous vous êtes dit : « Ça y est, j’y suis, je suis une artiste ! »
« Eh bien, quand Salvatore Adamo m’a demandé de faire un duo avec lui. Un chanteur qui a fait une longue carrière, qui a vendu une grande quantité d’albums m’avait choisi, moi, parmi tant d’autres talents ! Je n’en revenais pas ! Je me suis sentie adoubée. »
Et tout ça, grâce à qui ?
« Grâce à ma grand-mère, c’est elle qui m’a appris le chant et la musique, comme à tous mes frères et sœurs, mais moi j’ai continué ! Venez voir mon spectacle qui raconte tout mon parcours, inspiré d’autres chanteuses qui ont lutté contre leur condition pour atteindre leur rêve. »