Rencontres au Festival d'Avignon Celui qui n'a pas traversé le pont / Celle qui fait son premier festival
Nouvelle série: Le jour où je suis devenu(e) comédien(ne)
« Le jour où je suis devenu… ? » : voilà un projet qui me trottait dans l’esprit depuis un moment.
Avignon offre ce mois-ci un vivier de personnes à rencontrer. Tous ont choisi une vie d’artiste, une vie de scène, loin du ronron de vies bien rangées. Pourquoi et quand ont-ils fait ce choix audacieux ? Quand se sont-ils sentis réellement comédiens ? Les parcours se font rarement seul, grâce à qui ont-il pu réaliser leur rêve ? Une rencontre, trois questions, un article. Un comédien, une comédienne chaque jour pendant les 24 jours du festival, un sacré défi ! Avec près de 1 600 spectacles dont 1 500 dans le « off », je devrais trouver assez d'interlocuteurs. Une directrice de radio locale m’a proposé d’assister aux interviews du matin de sa station pour aborder des professionnels.
29 juin, ouverture du festival.
La ville s’est parée de sa décoration festivalière et bruisse de discussions. Les étrangers cherchent leur chemin, les habitués papotent avec les troupes qui présentent leur pièce et les Avignonnais se fraient un passage dans cette foule pour continuer leur quotidien. J’avance jusqu’à la place du rendez-vous, curieuse de découvrir l’ambiance du festival. Pas un festival depuis mon arrivée en 1992, je fuyais la foule et les rues étouffantes de chaleur.
Le temps de remonter la rue des Teinturiers, trois personnes m’arrêtent pour m’offrir leur flyer et me donner envie, en moins de trois minutes, de venir les voir jouer.
Celui qui n'a pas traversé le pont
Un placardage d’affiches suspendues à une haie de lierres grimpant sur un monument de pierres attire mon œil : du minéral, du végétal, du festival. C’est poétique. Alors que je le prends en photo, un marcheur m’aborde et me demande si je suis festivalière. S’engage entre nous une discussion, tout en marchant. L’homme tient discrètement dans sa main des tracts et m’explique qu’il joue deux pièces chaque jour : Boule de Suif (Maupassant) et le Joueur d’Echecs (Zweig). Cet homme souriant, avenant accepte de participer à mon projet. Voilà mon premier comédien à interviewer.
Vous souvenez-vous du jour où vous avez décidé d’être comédien ?
« Il y en a eu deux. Le premier, c’est quand j’ai vu Richard II de Mnouchkine dans la cour du Palais. Je me suis dit : “c’est ça que je veux faire !”
Puis, le jour décisif, c’était un matin en rejoignant à pied mon bureau d’ingénieur informaticien dans Paris. Avant de traverser le pont, c’était décidé : je n’irais plus au bureau, je passerais mes jours à répéter et à jouer sur scène. »
Racontez-moi le jour où vous vous êtes dit : « Ça y est, j’y suis, je suis comédien ! »
« En 1994, quand j’ai joué ma première pièce, celle que je joue encore aujourd’hui : le Joueur d’Échecs, dans un petit théâtre de Paris qui n’existe plus. La critique et le public ont vite été au rendez-vous. J’ai senti que j’étais à ma place. »
Et ça, grâce à qui ?
« À mes parents, ils étaient agriculteurs. Mon père avait été prisonnier de guerre, avait déplacé sa ferme et tout recommencé à 48 ans. Il m’a transmis son courage, sa détermination. Les pièces que je joue, je les connais plus que par cœur, mais elles me portent. Zweig, quelque part c’est en hommage à mon père, et Maupassant c’est en hommage aux racines normandes de ma mère. Chaque comédien à sa propre motivation. Quand je joue, je prends plaisir à donner vie à de beaux textes, de belles histoires, à les partager. Mais je ne les jouerais pas avec autant de conviction si je n’avais pas hérité de l’histoire de mes parents. »
Celle qui fait son premier festival
Personne n’anime d’interview radio sur la place annoncée, il doit y avoir un malentendu. Je déambule et observe la vie du quartier que j’ai vu évoluer aux quatre saisons. Le temps du festival semble être une parenthèse particulière. En retournant rue des Teinturiers, je croiserais bien une comédienne partante. Bien avant, à la croisée de la place des Corps Saints et de la rue des Lices, quatre jeunes femmes en t-shirt rose abordent les passants avec un grand sourire. L’une d’entre elles s’approche et me demande ce que je fais ce soir. Elle me raconte sa pièce : quatre amies qui se parlent sans filtre, avec tous les déboires que cela peut engendrer. Je lui parle de mon projet, elle répond avec enthousiasme.
Vous souvenez-vous du jour où vous avez décidé d’être comédienne ?
"Quand j’étais ado, je participais à une troupe d’impro d’amateurs. Un soir, je ne me souviens pas du tout de ce que j’ai dit, mais quand j’ai terminé, j’ai senti qu’il s’était passé quelque chose entre le public et moi. Je m’étais exprimée, on m’avait écoutée, c’était impressionnant. Je me disais que je ferais bien ça toute ma vie. Moi qui cherchais quelque chose qui me passionne, j’ai eu envie d’exploiter cette sensation plaisante que j’avais ressentie. Au bout de deux ans d’expérimentations, j’ai intégré une école de théâtre pour devenir comédienne professionnelle."
Racontez-moi le jour où vous vous êtes dit : « Ça y est, j’y suis, je suis comédienne ! »
"À l’école de Raymond Acquaviva, j’avais présenté une ébauche de travail devant la professeure, Mme Yvelyne Hamon. Elle m’avait dit : « Quelle belle comédienne que voici, c’est un très joli travail ! » Ce compliment venant d’une professeure pour qui j’avais une très grande estime m’avait touchée. Si elle disait cela, c’est qu’elle le pensait. Si elle le pensait, c’était que j’étais une comédienne. Elle nous a souvent expliqué que la question de la légitimité chez le comédien est délicate. Tout le monde peut avoir assez de talent pour être appelé « comédien », mais tous les comédiens peuvent aussi être remis en question dans leur légitimité. Se sentir trop légitime peut se révéler dangereux dans une carrière. En tous cas, ce jour-là, Mme Hamon m’a trouvée digne d’être nommée comédienne. "
Et ça, grâce à qui ?
"Je dois d’être au festival pour notre première création à Mme Hamon, mais aussi Philippe Viellar et Christophe Charrier, tous des enseignants extraordinaires, pleins de bienveillance et de professionnalisme. Je n’oublierais jamais les paroles de Mme Hamon : « Être comédien, c’est être une coquille vide qui se remplit d’un discours à faire entendre, à partager. C’est porter la voix d’autres qui ont des choses à dire, à raconter. » Et c’est là la motivation essentielle à laquelle je m’accroche quand parfois le chemin est sinueux. "
Merci à André et Clara, bon festival à eux!
N'hésitez pas à aller les voir!!