Journal personnel d'une expérience inattendue
Je ne saurais dire si c'était le jour où je me suis assise aux cotés du président de la cour, sur l'estrade, lors de la première journée d'audience. Ou le matin de la formation donnée quelques jours auparavant ? Ou encore quand j'ai ouvert l'enveloppe de convocation ?
En vérité, mon cerveau s'est conditionné à la vue du tampon « Cour d'Assises » sur la grande enveloppe blanche découverte dans ma boîte aux lettres.
« Ça y est, c'est tombé sur moi ! Malheur...! »
Les questions ont dès lors mouliné ma pensée : qui suis-je pour juger une histoire d'inconnus, sans formation judiciaire ? Sur quoi vais-je pouvoir m'appuyer pour me prononcer ? Quel sera le regard de l'accusé, celui de la victime ? Y aura t-il des faits insupportables à entendre, des images insupportables à regarder? Suis-je réellement légitime pour décider que quelqu'un doive aller en prison ? N'y a t-il pas de droit à l'erreur dans la vie ? Comment rester juste ? Nous mettra-t-on la pression ? Serons-nous manipulés par les avocats ? Y aura-t-il des oppositions de points de vue conflictuelles entre jurés?...
Juger reste un réflexe, facile, quotidien. Rapides, élaborées par des idées toutes faites et une vision biaisée par notre expérience personnelle, nos sentences tombent quotidiennement pour bons nombres de situations contrariantes, à l'encontre de certaines personnes agaçantes...
Mais juger avec justesse, avec objectivité, sans affect ni a priori, reste un exercice délicat et intellectuellement coûteux. Écouter, vraiment, rentrer dans des univers mentaux et culturels étrangers à notre vécu, se défaire un peu de soi pour intégrer la situation présentée : condamner quelqu'un demande quelques efforts et un peu de temps.
On m'a dit : « Si le type est jugé, c'est qu'il est coupable, c'est simple ! » Et bien non, il est innocent jusqu'à preuve du contraire, et ce sera le cœur de tout le débat. Les erreurs d'accusation, ça existe. Des coupables idéaux, ça existe. L'histoire judiciaire en connaît, qu'on découvre avec le recul du temps. Il me faudra pouvoir me regarder dans le miroir sans avoir le doute d'avoir participé à une erreur judiciaire.
Quand bien même la preuve serait faite, j'ai toujours du mal à penser qu'une personne soit « complètement pourrie », « bonne à jeter », à envoyer moisir à l'ombre de la société, qu'il n'y a aucune chance qu'elle change, jamais. Je suis peut-être naïve, mais je ne peux me résoudre à perdre espoir en l'humanité de chacun. Faire justice à la victime, faire appliquer la loi est le rempart à la loi du talion, du plus fort, du plus sauvage. Mais que propose notre société pour éviter la récidive, pour aider chacun à retrouver une place pacifiée?
Allais-je devoir me confronter à l'animalité du monde ? Y aura-t-il une place pour la réparation, pour un peu d'humanité ? Allais-je devoir me résoudre à perdre mes convictions qui placent l'éducation au dessus de la sanction?
Autant de questionnements qui ont nourri pendant trois mois ma pensée et mes discussions avec des amis "du métiers" (avocat, gardien pénitentiaire...) et des proches anciens jurés.
Quoi qu'il en soit, peu importe la boule qui plombait mon ventre, sous peine d'une amende de 3750 euros et d'une visite peu aimable des gendarmes, je n'avais pas d'autres choix que de me rendre à cette journée de formation, inquiète de savoir quelle expérience j'allais vivre dans ce lieu jamais pénétré : le tribunal.
Le passage du portail de sécurité sonna le commencement de cette session d'un mois, le début d'une immersion que j'avais préparée au mieux. Je ne me doutais pas encore de tout ce que j'allais découvrir pendant ses longues heures de procès, qui m'ont poussée dans mes retranchements émotionnels et intellectuels, ni comment mon questionnement sur la justice allait évoluer au fil des jours.
Je vais tâcher, dès demain, de vous partager au mieux cette expérience "extra-ordinaire".