Quand les Allemands vinrent occuper la grange (Provence, 1942)
P. est né en 1935, ce qui fit de lui un enfant assez grand pour se souvenir de la Guerre, de la peur qu'elle fit naître et assez jeune pour regarder se dérouler l'Histoire avec innocence. En 1942, son village devint un poste de défense allemand positionné face à la menace d'un débarquement allié par le sud.
Cette journée d'installation militaire est restée claire dans son esprit. C'était l'heure de sortie de l'école, un défilé de camions vrombissait dans les rues. P. connaissait bien les soldats français qui occupaient le village, guère armés ni équipés, aidant aux travaux des champs faute d'avoir une réelle mission. Mais ces camions-là amenaient avec eux un bruit d'angoisse, un murmure lourd qui courrait de porte en porte. Pour P., le chemin n'était pas bien long pour rentrer, il n'avait que quelques dizaines de mètres à parcourir pour rejoindre sa maman. D'un pas accéléré, il avait trotté pour y trouver refuge. C'était sans compter le barrage de soldats qui s'installaient dans sa cour et sa grange ! Un uniforme différent, un accent particulier, tout indiquait le début de l'occupation nazie. L'inquiétude se transforma en angoisse quand les discussions d'adultes lui revinrent en mémoire. « Les nazis enlèvent, violent et tuent les promeneurs de rues ! » Petit bonhomme frêle, il se faufila en tremblant entre les bottes étrangères pour trouver la porte fermée à clef ! Sa mère et ses sœurs s'étaient barricadées en attendant le retour du père de famille. Il n'attendit pas bien longtemps avant que sa mère ne le protégea de ses bras.
Contre toute attente, rien ne confirma les présages. Les Allemands ne menacèrent personne dans ce village tranquille. Étonnamment, ils nourrirent ce petit garçon affamé par la pénurie générale et lui les regardait comme des soldats de plomb vivants.
Si les derniers jours de l'occupation révélèrent un visage bien plus terrible de cette armée d'occupation, P. n'oubliera jamais ce gradé, assis sur le pas de sa porte qui pleurait. Il tenait une photo de ses enfants et regarda notre petit bonhomme, lui disant entre deux sanglots : « Guerre, gross malheur... » Notre héros n'avait pas dix ans et toucha du doigt la complexité humaine de la guerre !
Image par cocoandwifi de Pixabay