2000 ans après cette famille en fuite et cette naissance dans le dénuement
Comment un témoignage entendu rappelle que la nuit de Noël
est une histoire de migrant en fuite
Mon père m'a demandé de mettre le plus important dans ma valise. Comment choisir ce qui vaut le plus la peine d'être emporté ? Des souvenirs ? Des objets nécessaires ? Comment mettre ma vie dans une valise ?
Hier encore, je jouais avec mes cousins et mes voisins dans les rues de notre village, entre les vieux assis au soleil et les travailleurs occupés à leur atelier ou à leur charrette.
En regardant ma valise vide, je me rends compte combien j'aimais cette vie normale.
Aujourd'hui, le pays voisin a décidé de nous exterminer comme des chiens galeux. Papa et maman seraient bien restés, tenter l'impossible, s'ils n'avaient pas eu d'enfants. Trouver un endroit sûr, trouver un travail, trouver des soutiens, se refaire des amis, ils y auraient volontiers renoncé. Trouver l'énergie de tout recommencer ailleurs n'est plus de leur âge. Voir leurs enfants tués sous les armes d'hommes enragés, ça, en revanche, ils ne l'acceptent pas. Avec quoi nous battrons-nous ? Les marteaux de papa, les louches de maman ? Alors, le cœur lourd, nous remplissons quelques valises. Peu de bagages, la route incertaine sera longue, nous ne pouvons pas nous charger. Ce n'est pas un déménagement, c'est une fuite.
Moi, je voudrais emmener les murs de ma chambre, la terre de ma rue, les odeurs de ma cuisine, les quelques photos de mes ancêtres, les quelques objets qu'ils nous ont laissés. Cela m'aidera t-il à commencer une nouvelle vie ? Il me faudra donc être raisonnable et emporter quelques habits, quelques papiers, quelques photos, peut-être un livre pour m'évader de cette triste aventure. Moi qui ne connais pas d'autres arbres, ni d'autres fleurs que ceux de mon village, moi qui n'ai jamais vu d'autres paysages que mes montagnes, je dois quitter la terre de mes ancêtres, abandonner cette maison qui nous a vu grandir, rire, râler et pleurer, laisser les tombes de ma famille aux mains des pilleurs, parce que d'autres ont décidé que notre vie ne valait pas le respect.
Il paraît que là-bas quelques cousins se sont déjà installés, ce sera plus simple de reprendre pied. Enfin, si nous arrivons jusqu'à eux... Ce pays que je ne connais pas, ce pays où l'on ne tue pas à cause des origines puisqu'il a crée les droits de l'homme, ce pays nous offrira un asile, des nuits sans menace de bombardements ni d'égorgements.
Une nouvelle langue, de nouveaux paysages, des nouvelles coutumes, tout mon univers va changer. Plus rien ne me sera commun, connu ou habituel. Ne plus entendre la musique de ma langue natale, ne pas comprendre les conversations dans la rue, ne pas sentir nos épices traditionnelles, ne pas savoir ce que seront devenus mes voisins, mon maître d'école, j'ai bien peur de me sentir devenir un fantôme, sans attache, sans interaction. Je prie pour qu'on ne me regarde pas comme un moins que rien. Mon maître m'avait promis un bel avenir, il me trouve intelligent, et me voit étudiant. Là-bas, me laissera t-on une chance d'y parvenir ?
En fermant cette valise, c'est une partie de mon histoire, de mon identité, de ma culture que j'abandonne à la sauvagerie. Cette valise lourde comme mon cœur rempli de tristesse, je la porterais avec la force de mes espoirs. Je n'ai pas d'autres choix que de partir en espérant que d'autres humains respecteront mon humanité.
Aujourd'hui, ce jeune homme discret, à la voix grave et au regard profond, prépare un diplôme universitaire d'informatique et s'investit dans des associations sociales. Il savoure chaque jour sa chance d'avoir trouvé une terre d'asile, de pouvoir suivre des études et tendre la main aux autres. Son témoignage poignant et son émotion vibrante résonnent de la mélancolie de son pays, de cet espoir fou de pouvoir un jour retrouver la terre de ses ancêtres et y bâtir sa vie. En attendant, il s'adapte, travaille pour son avenir, pleure de ce qu'est devenu son village et trouve le réconfort dans sa communauté déracinée...