Les jeunes des années 60 et 70 allaient « guincher » dans les fêtes votives, les boites mais aussi les chapiteaux. Ça, je n'en avais jamais entendu parlé.
Des investisseurs, plus ou moins mélomanes et fêtards, achetaient un grand chapiteau, du parquet et un comptoir de bar pour créer une boîte éphémère. Installée sur la place d'un village un peu isolé, animée par des groupes de musiques locaux, elle devenait l'incontournable lieu de fête pour tout l'été. En fin de saison, l'installation disparaissait, et n'engendrait ainsi aucun frais de gestion le reste de l'année.
J'ai rencontré un retraité au cœur de rocker qui avait monté une de ces affaires dans sa jeunesse. L'idée était venue d'un vague collègue de bouleau qui, comme lui, aspirait à vivre autre chose que métro-boulot-dodo. Notre mélomane qui rêvait de vivre de musique se laissa convaincre, y versant ses économies personnelles. L'investissement financier était assez conséquent, mais la rentabilité lui était assurée. Gagner sa vie en travaillant dans une ambiance musicale de fête, quand on a la vingtaine, c'est une opportunité bien tentante. Sans plus un sou en poche, après quelques semaines de dur labeur et de débrouille, entre autorisation administrative, achat, montage, négociation avec les fournisseurs, publicité, recrutement des musiciens et du personnel, les deux compères avaient réussi à lancer l'affaire et, même, à la rendre juteuse. Pas de regret : des clients sympas et détendus par le temps estival, de la bonne musique et de quoi refaire son compte bancaire. Le jeu en avait valu la chandelle !
Mais... quand l'argent fleurit, les embrouilles parfois bourdonnent, surtout quand l'associé est très gourmand. Des échos de rumeurs malhonnêtes sont venus siffloter aux oreilles de notre mélomane, sa famille commença à le regarder de travers, quelque chose clochait dans le tableau.
Une simple recette de patience et de renoncement n'ont pas suffit à apaiser la situation, surtout quand la famille a fini par lui tourner le dos pour des prétextes erronés. Une dispute éclata entre les deux associés et devant ce conflit alimenté de mauvaise foi, mensonges et manipulations, notre rockeur comprit qu'il avait été le dindon de la farce et claqua la porte. Quelques minutes pour tout perdre : plus de boulot, plus de fête, plus d'argent, plus de toit, plus de famille...
Tout un chacun imaginera facilement sa colère, sa déception et sa rancœur, n'est-ce pas ? Se retrouver à la rue à cause de la malhonnêteté d'un associé, il y a de quoi maudire le sale type et le ciel, ce sale lâcheur.
Le ciel a t-il eu pitié de lui ? Il existe des coïncidences qui parfois questionnent, surprennent, nous rendent justice.
Quelques jours après son départ, le village connut la pire des tempêtes de mémoires d'anciens. Un cataclysme incroyable. Si par miracle, personne ne fut touché, les arbres furent couchés, les tuiles envolées... hormis les murs de pierres, tout a été emporté, et bien sûr, le chapiteau avec ! Le ciel avait ainsi rétabli un équilibre : son ancien associé, sans sa poule aux œufs d'or, se trouvait lui aussi sans boulot, sans argent.
Comme on dit « un partout la balle au centre » !
Le temps fit son œuvre pour notre héros: regagner la confiance de sa famille, retrouver un boulot et un toit, mais à la vingtaine, la route est encore longue et les possibles infinis, surtout quand on est malin et débrouillard comme notre ami !