En ces temps de révolution numérique, il ne m'est pas rare d'entendre : « Ne pensez-vous pas que vous serez bientôt remplacée par une IA ? » Eh bien, je n'ai pas besoin d'une longue réflexion pour répondre : « Non ! » Est-ce de l'audace ou de la prétention ? Plutôt du pragmatisme...
Si la transcription de l'entretien pourrait sans doute être aidée par une IA (quoiqu'il faille encore corriger tous les noms propres, trier les parties à garder, corriger les hésitations et les répétitions ou encore réorganiser la logique du récit), l'échange humain reste essentiel à l'écriture d'une biographie, que ce soit pour une rédaction ou une relecture guidante.
« Ah bon ? » me diriez-vous peut-être avec une inflexion des sourcils. Oui.
Je revois cette personne âgée me montrant, seule face à son ordinateur, comment elle avait tenté de répondre à un logiciel d'autobiographie guidée, ne sachant ni où cliquer ni que raconter. Effectivement, il n'est pas évident de se confier à une machine: par quoi commencer ? Comment trouver les mots pour que ce soit intéressant ? Il en résultait, pour elle mais aussi pour d'autres que j'ai vu commencer un récit seul devant leur feuille blanche, un récit factuel de lieux, de dates et de personnes qui lasse rapidement l'écrivain comme le lecteur. Même les plus inspirés, les amoureux de la langue et de la littérature, demandent un « autre » œil pour déceler les manques et les trop de leur texte. Un autre regard humain...
La richesse d'un récit, des informations et surtout des émotions, naissent de la rencontre du raconteur et de l'écrivain. Pour l'un, l'envie d'intéresser et pour l'autre l'envie de comprendre, ces deux mouvements participent à la construction d'une histoire à la fois cohérente et remplie de détails bien choisis lui conférant une profondeur. Je remarque que souvent mes mimiques faciales invitent le raconteur à approfondir la description d'un proche, mes questions permettent d'éclairer des liens entre les évènements, ou mon incrédulité amène à expliquer une tradition oubliée, une expérience incroyable. Nous passons ensemble un moment agréable où nos parcours résonnent de similitudes comprises, de fragilités solidaires et de découvertes excitantes.
La curiosité pour explorer les zones floues qui gêneraient le lecteur, la culture générale pour comprendre au mieux les univers décrits par le raconteur et l'empathie sincère pour déceler les émotions à partager et celles à taire restent, je pense, trois compétences qu'une IA n'est pas en capacité de proposer à une personne désirant témoigner de son parcours. Pas encore du moins, pas avant longtemps pour ce qui est de l'empathie sincère... L'IA n'offrira pas le plaisir de commencer l'entretien autour d'un café et quelques nouvelles, ni des sourires entendus, ni des mouchoirs quand les larmes paraissent, ni la complicité qui naît au fil des rendez-vous.
Certes le livre qui résulte de ses longues heures de confidences met en valeur un parcours de vie avec ses richesses et ses épreuves, mais le temps passé en entrevues n'en reste pas moins une rencontre humaine qui rappelle au raconteur que son histoire a une valeur, quand son entourage est souvent trop pudique pour poser des questions ou est très occupé par un quotidien chargé pour passer du temps à ses côtés.
Pour le raconteur, écrire une biographie est une aventure humaine riche de la rencontre avec un biographe et riche des liens que le livre lui permet de tisser avec les lecteurs. C'est une histoire humaine.
Je m'illusionne peut-être, je ne l'espère pas. Je continue de croire que mon activité est un métier de l'humain faite de rencontres et de partage, et pour cela il faut deux cœurs.
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