Quand les parents ne laissaient pas sortir les jeunes filles (Provence, Début XX°siècle)
Le début du XX° siècle ne laissait guère de libertés aux jeunes filles. La honte d'une grossesse sans alliance pesait sur toute la famille, alors les amours et les mariages devenaient affaires sérieuses et délicates. Ainsi en fut-il du mariage des parents de Paul : une histoire d'un autre temps. Son père, le Marseillais, et sa mère, la Rovenaine, se sont vus trois fois avant de se marier. Guère plus de rencontres prénuptiales que le demandait un mariage arrangé, mais pour eux, trois entrevues suffirent à confirmer leur coup de foudre.
Lui, le Marseillais, grand et beau jeune homme aux yeux bleus, était venu au Rove rendre visite à sa tante. Il tomba sous le charme de l'élégante et gracile jeune fille qui habitait la maison d'en face. Il lui était bien impossible d'aller à sa rencontre: une femme à l'air bien peu commode la suivait de près. La mère avait de quoi réfréner les ardeurs des prétendants. Institutrice du village, son chignon était aussi serré que ses lèvres étaient pincées. Pas de sortie autorisée pour la jeune fille, ou si rarement. Sa mère l'obligeait en ce cas à tricoter pendant la visite à ses amies. Tricot dont elle comptait le nombre de mailles réalisées dans l'après-midi, s'assurant ainsi qu'elle n'avait pas perdu son temps à d'autres distractions moins catholiques. La confiance ne soufflait pas sur leurs relations...
La tante du jeune homme lui dépeignit sûrement un portrait objectif et peu glorieux de cette voisine aux lèvres pincées. Il était pourtant bien décidé à faire connaître son émoi à sa douce élue. Touchée par la sincérité de son neveu, elle allait donc jouer l'entremetteuse et devenir passeuse de jolis mots. Elle livrait à sa jeune voisine les courriers qu'il lui postait et celle-ci lui confiait en retour ses lettres à poster. Les PTT sont devenues la cachette d'un amour épistolaire, échangeur de beaux sentiments, le temps de faire connaissance et de se plaire.
La jeune Rovenaine n'a visiblement pas été insensible à la plume de ce beau Marseillais. Et lui avait du recevoir assez de jolis mots pour oser faire le grand pas. Avait-elle imaginé un moment qu'il viendrait la surprendre dans sa cuisine ? Un jour, il fut là, sur le pas de la porte, son prétendant venu lui demander sa main. Incrédule, elle en avait laissé tomber l'omelette qu'elle préparait.
La mère donna son accord, à la condition bien gênante que les premiers rendez-vous se passent sous le regard attentif des parents assis aux côtés des jeunes amoureux. En fin d'après-midi, après quelques échanges courtois, la cloche sonnait, la sentence tombait. La mère annonçait à son futur gendre athée et communiste : « C'est l'heure des vêpres (messe de 17h), vous pouvez y aller ! »
Malgré des parents stricts et leurs divergences religieuses et politiques, les parents de Paul se marièrent à l'église. Épouser ce premier venu, elle, ce beau parti du village mariée à un Marseillais de surcroît, une histoire qui fit beaucoup parler. Les anciens disaient : « Pour être heureux, maries-toi dans ton village », alors ceux du Rove avaient peine à imaginer que trois rencontres avec un étranger pouvait avoir fait naître un amour, sincère, profond et réciproque. Cependant, la fille de d'institutrice et l'étranger fondèrent rapidement une famille qu'ils n'avaient peut-être pas prévue si nombreuse. « Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants... » Ils accueillirent tous les enfants à naitre. Et comme ils s'aimaient beaucoup, le fruit de leur amour fût très abondant. C'est vrai, ils manquèrent cruellement d'argent, mais aucun ne manqua jamais d'amour.
N'était-ce pas une pari fou, ce mariage bâti sur une rencontre silencieuse et quelques lettres? Quelle choix avaient alors les jeunes filles de cette époque? Un mariage arrangé mais pas arrangeant ou céder à un coup de foudre qui avait su se montrer romantique au moins sur quelques lignes. Qui se marierait aujourd'hui après quelques textos et trois rendez-vous sous le regard des parents ? Des fous, selon certains, des amoureux touchés par Cupidon, pour d'autres!
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