Celle qui avait besoin de légèreté/celui qui n’avait pas prévu d’être comédien
Rue de la République, en terrasse du pub irlandais, j’attends que la ville se réveille, que le festival insuffle son énergie et qu’il soit l’heure d’aller écouter l’émission radio. Derrière moi, un homme et une femme se font face, chacun relisant son paquet de feuilles. Le texte y est écrit assez gros, et est régulièrement surligné, j’en déduis que ce sont des comédiens. A ma gauche, une famille d’Italiens plaisante à gorge déployée. En face de moi, quelques retraités lisent le journal et sirotent le café. Ils se tutoient, ils doivent être du quartier. Un groupe de trois femmes à la voix éraillée par l’âge commente le programme du festival et parlemente pour choisir quelle pièce ouvrira leur journée.
Des comédiens, des touristes, des festivaliers et des Avignonnais poursuivant leur quotidien, cette terrasse de café représente la société avignonnaise de juillet.
Je sors mon ordinateur et débute ma tâche de transcription de manuscrit. Pendant que je tapote sur mon clavier, j’entends les comédiens se vouvoyer, organiser des prises de paroles politiques et citer des chaînes d’info en continu, ce sont peut-être finalement une journaliste et un politicien qui préparent une interview.
Le soleil chasse les nuages, la luminosité ambiante prend les couleurs chaudes des façades en pierres de cette artère principale. Un éclat de voix, une joie de se retrouver, des nouvelles du festival s’échangent dans mon dos. Un homme déguisé en pseudo-policier canadien est venu à la rencontre des deux personnes derrière moi :
« Vous êtes encore en train de réécrire votre texte ?
— Et oui, c’est une pièce politique ! Avec la semaine qui s’annonce, on va devoir l’actualiser chaque jour ! lui répond la jeune femme en riant.
— On joue cet aprèm à 13 h et faut qu’on soit réactif ! » enchaîne son compagnon de travail.
En voilà deux qui se sont lancé un sacré défi : retoucher leur texte avec pertinence chaque matin et apprendre une nouvelle version chaque jour !
Le soleil nous réchauffe et le festival prend tranquillement son rythme : des comédiens passent régulièrement à côté de leur table en saluant leurs confrères. C’est drôle, tous ces comédiens qui investissent la ville comme une maison secondaire où l’on retrouve ses amis avec joie l’été.
Celle qui avait besoin de légèreté.
L’émission radio devrait commencer, je rejoins la place Saint-Didier et j’attends de voir qui le destin va mettre sur mon chemin aujourd’hui. Une jeune femme aux longs cheveux roux s’excuse de m’avoir déjà abordée. J’ai visiblement un sosie de robe et de flyers en main en ville. Elle commence par dire : « Je joue l’histoire de ma grand-mère, son histoire que j’ai passé des heures à reconstituer, à découvrir des branches inconnues de ma famille. Au final, j’ai une collection de portraits hauts en couleur qui créent une pièce très drôle ! » Pour une biographe, ce résumé est touchant, parlant. Nous discutons transmission et récit de famille. Je lui propose de participer à mon projet.
Vous souvenez-vous du jour où vous avez décidé d’être comédienne ?
J’étais en 5ème et cet atelier de théâtre a été une révélation. Je m’étais inscrite au théâtre comme d’autres allaient à la danse ou au foot, et j’ai tout de suite senti que j’étais faite pour ça. En en parlant, je me rends compte que c’était guère après que ma grand-mère me confie son histoire, celle que je joue cet été…
Racontez-moi le jour où vous vous êtes dit : « Ça y est, j’y suis, je suis comédien ! »
C’est arrivé bien plus tard. Avec notre statut d’intermittent, nous avons le droit à des formations AFDAS. C’est lors d’une formation de trois semaines auprès d’Eric Blouet et Carole Tallec que j’ai enfin senti ma légitimité. Leur bienveillance et leur soutien ont été une libération dans ma pratique. Pour la première fois, j’entendais qu’il n’y a pas nécessité à encaisser, serrer les dents, souffrir, se faire insulter ou humilier pour devenir une bonne comédienne. Tout d’un coup, ce regard positif et l’humour d’Eric ont donné une nouvelle énergie à ma pratique. Enfin, je pouvais me dire que j’étais comédienne. Avec le recul, j’ai du mal à comprendre qu’on légitime l’humiliation comme formation du comédien, comme une obligation de briser les personnalités pour les rendre malléables à l’envi quitte à les détruire. Avec Eric et Carole, je me suis découvert un nouveau potentiel de pratique, avec la même exigence que l’on attend sur toutes les scènes. J’arrive enfin à faire la part des choses : il y a des jours où je suis moins bonne que d’autres et ce n’est pas la fin du monde. Je sais que je pourrais faire bien mieux demain sans m’en rendre malade. J’ai la sensation que la jeune génération y est bien plus sensible et tant mieux !
Et ça, grâce à qui ?
Vraiment, Eric Blouet m’a fait passer un cap qui m’a permis d’être sereine avec ma pratique théâtrale, une nouvelle source d’énergie qui m’a permis d’oser un seul en scène personnel. Je ne me serais jamais sentie légitime à le proposer avant ça !
Celui qui n’avait pas prévu d’être comédien
À deux pas de ma discussion avec cette attachante jeune comédienne, j’aperçois le studio minimaliste et public installé au pied de l’église Saint-Didier. Un religieux se fait interviewer, je ne saurais définir à quel titre il intervient. Est-il un prêtre comédien ? Ce serait atypique ! Je n’ai pas le temps de le savoir, son temps imparti est écoulé et un jeune homme prend sa place. Il présente sa pièce qui mêle chant, danse et comédie sur fond de Jazz Club des années 1940, à la fois vintage et moderne. Je décide de l’entreprendre dès qu’il sort de ce studio plein air. Cet homme, au milieu de sa vingtaine, a un regard doux et un sourire chaleureux.
Vous souvenez-vous du jour où vous avez décidé d’être comédien ?
Je ne l’ai pas vraiment décidé. J’étais surtout danseur professionnel. J’ai plongé dans la danse moderne-jazz à l’adolescence, c’était devenu une passion. Mes parents, tous du milieu médical, ont eu du mal à l’accepter. Mais pour moi, il n’y avait pas d’autres alternatives alors ils s’y sont faits. J’ai intégré la troupe du Roi Lion à EuroDisney. Comme souvent dans les grands spectacles, les artistes se fatiguent et se blessent régulièrement alors on nous forme à faire doublure pour prendre d’autres rôles au pied levé. J’étais la doublure de Simba, je répétais vite fait les placements et les gestes sur un play-back. Puis un jour, on a eu besoin de moi. Les premières représentations, je n’étais vraiment pas à l’aise. Quelle légitimité avais-je à tenir le rôle principal ?
Racontez-moi le jour où vous vous êtes dit : « Ça y est, j’y suis, je suis comédien ! »
Au bout de dix jours, à force de jouer et répéter avec les autres comédiens, de les observer, les écouter, discuter avec eux, c’était devenu facile. Quand le metteur en scène est venu me dire : « C’est plus qu’OK ce que tu fais, tu devrais te lancer pour de bon dans le théâtre ! » Il m’avait défini comme comédien de la troupe, une nouvelle corde artistique s’ajoutait à mes compétences.
Et ça, grâce à qui ?
Christophe Leclercq , ce metteur en scène, qui a su voir en moi ce que je ne soupçonnais même pas ! Il m’a offert l’audace de me lancer. Grâce à lui, aujourd’hui, je peux danser et jouer sur scène au festival d’Avignon !