comment arranger son service militaire (années 1960)
Les téméraires parlent d'une aventure loin de chez eux, les attachants n'en gardent que la camaraderie, les casaniers évoquent une parenthèse sans intérêt, les forts en gueule ont eu du mal avec l'ordre, et les audacieux ont joué leur carte chance, parfois risquée. Le service militaire, tous les raconteurs m'en parlent avec des tonalités différentes. Le premier trajet en train qui les mènent bien au-delà de leurs paysages connus, les ordres, les brimades, la marche au pas, les permissions occasionnelles... tous y sont passé. Mais deux d'entre eux ont joué un sacré coup de poker menteur, tentant d'échapper au simple quotidien monotone de troufion. Je vous en partage un premier.
Dans les rangs rassemblés, en début de « classes », un officier lança un appel à compétence. « Qui sait jouer de la musique ? » P. sentit sa chance se profiler : « Moi !»
P. avait bien monté un groupe de rock dans son village, avec ses copains de lycée. Personne ne savait lire une note de solfège, tous jouaient à l'oreille en usant leurs tympans sur leur platine de tourne-disque, plusieurs fois par semaine, dans un garage. Si personne ne savait lire de portée, vous imaginez bien qu'aucun n'avait fait le conservatoire. De plus, dans son village, pas grand monde aurait pu s'offrir un instrument de musique, surtout lui, le fils d'un ouvrier agricole. Alors, il avait choisi d'y être batteur, le maître du rythme. Il était ainsi plus simple pour lui de remplacer une belle batterie par un ersatz s'en approchant. Il frappait le rythme sur différentes sortes de casseroles.
Voilà, il savait donc « jouer de la musique »... sur une batterie de cuisine ! Ordre lui fut donné d'aller chercher son instrument de musique. Il devint l'heureux gagnant de deux jours de permission. Bonheur ! Puisqu'il n'y avait pas de téléphone pour avertir sa famille de son retour inopiné, le stop lui permit de s'approcher au mieux de sa ferme isolée, avant de terminer à pied. Son père lâcha sa clé anglaise devant ce fils en uniforme, apparu devant lui. Rare moment, voire moment anthologique de fierté paternelle démonstrative. Aussitôt, le père emmena le fils chez un ami qui pourrait éventuellement lui prêter une caisse-claire de la fanfare du village. Un ami vous sauve toujours la mise, généralement. En tous cas, le sien comprit qu'il était pris à son jeu et qu'il ne pouvait rentrer les mains vides sans avoir de problème. Il lui prêta l'instrument en le suppliant d'y faire bien attention.
Quelques morceaux répétés pour s'habituer à cet instrument à la résonance plus mélodique lui offrirent le pass pour intégrer l'orchestre de la caserne. P. passa donc dix-huit mois à répéter tous les matins, en montagne, et à défiler d'une caserne à l'autre le reste de la semaine, bien heureux de laisser derrière lui les entraînements de troufions !
Se savait-il talentueux ? Pas vraiment, mais il vit une chance dans cette proposition et se débrouilla pour la garder, tentant le tout pour le tout. Une pincée de manque de confiance en lui et il aurait rampé, crapahuté, porté son sac lourd. Une pincée d'audace et il vécut ses dix-huit mois en mélomane bien heureux!
Puisse cela nous rappeler qu'une pincée d'audace nous mènera toujours un peu plus loin qu'une pincée de doute ! Soyons donc audacieux, non?