8 mai 1945, armistice.
La guerre est finie. Chapitre suivant! Voilà un découpage simpliste de l'histoire de France.
Chacun retrouva le cours de sa vie, enfin libre et heureux ? Et bien, ça n'est pas le souvenir que j'ai entendu en entretien. Certes l'occupant n'était plus là, ses réquisitions non plus. Mais six ans de guerre avaient laissé leurs traces, et le ménage ne s'est pas fait dans l'heure, ni en urbanisme, ni en économie, ni en politique.
Paul avait douze ans à la Libération. Les rues recouvertes des débris de maisons, le rationnement prolongé, les regards en oblique entre villageois soupçonnés de collaboration, les résistants de la dernière heure cherchant la gloire, les règlements de compte entre femmes et maîtresses ayant obtenu un peu d'affection lors de l'absence de leur mari, cela il s'en souvient bien. Une sorte de confusion générale ambiante.
La jeunesse dispensant d'un certain nombre de préoccupations, les enfants ont vécu la Libération à leur façon. Un souvenir joyeux de cette période étrange qui leur laissait encore plus de liberté qu'à l'habitude.
Les routes impraticables pour les camions de l'armée firent le bonheur des jeunes garçons et de leurs voitures à pédales, engagés dans de palpitantes courses. Les adultes tous à leur travaux de reconstruction ne faisaient pas grand cas de leurs va-et-vient dans les décombres ou les collines.
Rendez-vous compte de la chasse aux trésors que le départ des Allemands leur avait permise! Des casques, des médailles, des armes à collectionner... Mais aussi, d'autres sujets de chasse plus « surprenants » : des corps laissés à même le sol, que Paul et ses copains s'amusaient à repérer, en attendant la venue des camions mortuaires. Une activité qui me parut bien glauque mais le rapport à la mort avait été bouleversé.
Une autre activité atypique m'a, par contre, à la fois effrayée et fait rire.
Les Allemands partis dans la précipitation avaient laissé à disposition un lot important d'obus prêts à l'emploi. Pour des enfants curieux et libres, quelle aventure ! Et oui, Paul et sa bande expérimentèrent le métier d'artificier, en récupérant la poudre des obus.
Il le dit lui même, il aurait pu mourir cent fois : lors de l'essai dans un hangar désert où la charge fusait en tous sens autour d'eux, ou lors de la tentative d'accumulation de charges sous les pins ! Mais une idée plus « spectaculaire » encore leur traversa la tête : observer l'explosion d'un kilo de charge, tous assis autour du tas de poudre, dans la tranchée du jardin, cachés sous la planche de camouflage. Le souffle de la déflagration envola tout bonnement cette dernière dans le ciel! La dangereuse expérience qui aurait pu tourner à la catastrophe, se conclua, fort heureusement, par une belle frayeur, à l'odeur de roussi. Les jeunes garçons sortirent de leur cachette avec des oreilles sifflantes, quelques brûlures aux joues, des sourcils totalement grillés et une bonne gifle en prime !
Assis à sa chaise, installé devant sa tasse de café, mon raconteur parlait avec son regard rieur et le verbe légèrement provocateur : « c'était une formidable explosion ! » Puis son regard s'est perdu vers les arbres verdoyants de son jardin, avant de revenir sérieux et d'avouer dans un presque chuchotement : « Je crois que cette fois maman a vraiment eu peur. Elle ne me giflait jamais, mais celle-là, je crois qu'elle n'a pas pu la retenir ! » Les derniers mots firent résonner un peu de sa malice revenue au coin de ses lèvres souriantes.
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