« Je veux que mes petits-enfants se rendent compte de leur chance, l'apprécient à leur juste valeur. Non comme une normalité, mais comme une chance. »
Cette semaine, je finissais une séance d'entretien avec un couple en discutant des incompréhensions qui peuvent exister entre les jeunes et les anciennes générations. Les priorités et les projets de vie ne sont plus les mêmes.
Fils d'ouvriers agricoles, mon raconteur a grandi dans une famille où les revenus suivaient les variations d'intensité du rythme des saisons, quand les crues du Rhône ne sabotaient pas toutes les cultures pour des mois. Quand, jeune, chaque repas, chaque habit, chaque menue dépense représentaient un effort de toute la famille, que ce soit au potager du jardin ou au travail, quand l'adolescent travailleur reversait toute sa paie au père et ne gardait rien pour lui, quand le quotidien se vivait sans eau courante, ni électricité, et bien, arrivé à la retraite, on a de quoi être stupéfait par la vie de ses petits-enfants.
« Débuter dans la vie avec rien, le rien qui veut vraiment dire rien, et travailler pour se construire une vie, c'est une vie où l'on va toujours vers le un peu mieux, petit à petit. Les choses prennent une valeur. Commencer sa vie avec tout, le permis, la voiture, l'appartement, le téléphone... sans avoir connu le rien, c'est dangereux. Ils possèdent à vingt ans tout ce que nous avons mis une vie et tant d'efforts à gagner. Que voudront-ils de plus au fond, pour quoi se lèveront-ils ? Ils ne pensent qu'au bon temps. C'est dangereux, parce que s'il y a une chute, elle fera vraiment très mal. » Voilà l'inquiétude qui taraude mon raconteur...
En trois générations, notre société a connu les bouleversements sociétaux, technologiques, économiques les plus rapides, rendant parfois incompréhensibles les univers des aïeux et de leurs descendants.
Ce monsieur a fini par rire « J'ai grandi avec si peu, dans un monde si simple et si concret, et à quatre-vingt ans, la semaine dernière, je me suis fait servir mon pastis par un robot ! J'étais stupéfait, une machine automatique m'a amené mon apéro, à Avignon ! Tu te rends compte ? C'était de la science-fiction à mon adolescence ! Je n'aurais jamais cru le vivre ! Et mes petits-enfants pour eux c'est normal, comme d'avoir une montre connectée, une voiture électrique, l'ordinateur. Parfois j'ai la sensation de vivre dans un monde délirant, oui de la science-fiction ! » « Je veux que mes petits-enfants se rendent compte de leur chance, l'apprécient à leur juste valeur. Non comme une normalité, mais comme une chance. »
Jeune des années 1950, jeune des années 2020, jeunes dans la même ville mais dans deux mondes différents. Écrire ses souvenirs de jeunesse, pour lui, c'est bâtir une passerelle entre les générations, d'un jeune d'hier aux jeunes d'aujourd'hui.