Celui qui avait pris son vélo en cachette/Celui avait acheté une ruine
Bienheureux celui qui a décidé d’installer le studio à l’ombre d’un énorme platane et, qui plus est, à côté d’un restaurant dont l’odeur des plats donne faim. Comme à l’accoutumée, la benne à verre est vidée pendant l’enregistrement, mais, cette fois, les cliquetis bruyants accompagnent la voix d’un ténor. Le chanteur lyrique debout devant son micro, torse bombé et gorge déployée ne lâche pas sa note tout en jetant un œil à la source de ce bruit discordant.
Celui qui avait pris son vélo en cachette
L’invité suivant présente une pièce qui parle de recettes de grand-mère. Blanche, une grand-mère, partage sa recette de vie. Elle saupoudre farine et souvenirs sur une table qui devient la scène de son passé. Quelle poésie ! La pièce se joue tard le soir, officiellement, pour que la compagnie ait le temps de nettoyer la salle remplie de farine, pour l’invité, il s’agit d’un voyage dans les souvenirs qui mérite bien l’ambiance apaisée de la nuit. Sac sur le dos, il salue toute l’équipe avec chaleur et prend la direction de la place.
Vous souvenez-vous du jour où vous avez décidé d’être comédien ?
« C’était le jour où j’ai pris mon vélo sans rien dire à personne pour aller m’inscrire au club de théâtre. J’étais en 6ème, le théâtre m’avait attiré dès que j’avais vu la publicité au collège. Dès le premier cours, en regardant le travail des plus grands, l’ambiance, la scène, j’ai su que je ferais ça ! Mais longtemps, je ne me le suis pas autorisé. Le stage de cinq semaines en cabinet comptable a été le déclic : je ne pourrais pas travailler toute ma vie dans un bureau avec des chiffres ! »
Racontez-moi le jour où vous vous êtes dit : « Ça y est, j’y suis, je suis comédien ! »
« Quand jouer est devenu mon quotidien… »
Et tout ça, grâce à qui ?
« À mes formateurs avant tout ! On peut se faire une place de comédien, seul ou dans une troupe, sans passer par le conservatoire. Il faut tout de même se former et apprendre de professionnels ! »
Celui avait acheté une ruine
Mon voisin de banc, un homme grand, gaillard, habillé comme un touriste (short, t-shirt, sandales) se lève et va prendre place sur le fauteuil coloré que lui montre l’animatrice radio. C’est idiot, je n’avais pas imaginé qu’il puisse être un comédien. Sans tenue, ni accessoire, ni sac à dos, ni tract, je l’avais pris pour un promeneur lambda. Il est là pour présenter le Vrai Saint-Genest, une pièce d’époque baroque racontant la vie du premier comédien devenu saint, à l’époque antique. J’apprends en passant que les comédiens ont un saint protecteur. Il parle avec emphase de cette œuvre classique et des choix scéniques pour faire une place à Dieu, personnage actif de la pièce. Il part comme il est venu, anonyme, humble, tout le contraire de sa stature imposante et de son regard perçant.
Vous souvenez-vous du jour où vous avez décidé d’être comédien ?
C’est un très long parcours. J’ai fait des études de lettres, j’ai aimé le théâtre, mais j’ai fait carrière ailleurs, dans la diplomatie. Un jour, je me suis fait un petit plaisir en m’achetant une ruine dans le Bourbonnais. J’ai mis la cour à disposition d’une troupe pour offrir une soirée de théâtre à ce coin de campagne qui n’en voit pas souvent. J’y ai pris goût, c’est devenu un petit festival local. Je viens depuis des années choisir les troupes à Avignon. L’an passé, on a monté une troupe et on s’est lancé dans cette pièce qui m’avait tant marqué pendant mes études. Il restait un rôle de garde, je l’ai pris !
Racontez-moi le jour où vous vous êtes dit : « Ça y est, j’y suis, je suis comédien ! »
« Il y a un an et demi, un accident de la vie m’a fait prendre cette décision : me consacrer au théâtre ! »
Et tout ça, grâce à qui ?
« À ma mère, qui aurait pu être comédienne si son père avait écouté son professeur de théâtre. Comme dans le film de Louis Jouvet, l’Entrée des Artistes, elle était promise à la scène, mais à l’inverse du film, le professeur n’a pas eu le dernier mot. Elle m’a souvent amené voir des pièces. Alors aujourd’hui quand je suis sur scène, c’est à elle que je pense, systématiquement ! »