Celui qui sait que la musique change la vie d'un enfant/celle qui donne la parole aux réfugiés
La foule sortie des séances matinales promène à la recherche d’une table libre pour se rassasier. Les terrasses sont bondées, les minuscules coincées sur un bout de trottoir comme celles étalées sous les platanes. Les serveurs se faufilent au pas de course. Ceux qui se préparent pour la prochaine séance sirotent leur café. Le quartier bouillonne donc à l’heure où les cuisines frémissent. Les tracteurs essaient de capter l’attention des passants préoccupés par leur faim.
Celui qui sait que la musique change la vie d'un enfant
Un homme manie avec prudence un panneau fixé sur un long manche en bois pour le ranger à ses pieds sans blesser personne. Dans cette virevolte, j’aperçois une affiche enfantine, ce peut être un spectacle pour enfant ? J’entame la discussion avec ce samouraï de l’affichette. Et bien non, c’est un spectacle de famille créé autour d’un conte de Colette. Ça, c’est pour les jours impairs. Les jours pairs, il joue une création avec Brassens. Enfin, en réalité avec la voix parlée du chanteur, construisant un dialogue imaginaire avec ce comédien-musicien qui lui répond sur scène. C’est original ! Jour pair, jour impair, le comédien ne doit pas se lasser avec deux spectacles à présenter.
Vous souvenez-vous du jour où vous avez décidé d’être comédien ?
« En réalité, j’ai un parcours plutôt classique de pianiste. Être artiste, c’était un chemin comme ça, une formation après l’autre, un concours après l’autre… Le pas décisif, c’est sans doute fait quand j’ai eu le concours de la Juilliard School. La comédie est venue agrémenter mes spectacles. »
Racontez-moi le jour où vous vous êtes dit : « Ça y est, j’y suis, je suis artiste ! »
« J’avoue que de participer au concert de Radio France, c’était un moment officiel, impressionnant, où je me suis dit que j’étais peut-être sérieusement un artiste. »
Et tout ça, grâce à qui ?
« Tous les profs, c’est certain. Mais quand, j’y réfléchis, celui qui m’a inspiré au départ, c’est Léonard Bernstein. Quand j’étais petit, la télé rediffusait des émissions de Léonard Bernstein, le grand chef d’orchestre, pianiste et compositeur, dans lesquelles il donnait des cours de piano. Ça me passionnait ! »
Il revit sa joie d’enfant, l’esprit plongé dans la leçon de Berstein, au moment où nous nous saluons. En le quittant, je découvre sur son tract que sa compagnie est mobilisée auprès des enfants malades, ça, il n’en a pas parlé. Un ancien enfant passionné de musique qui offre un voyage, une trêve musicale, à des enfants qui ont besoin de légèreté et de poésie, j’aime y voir la générosité de la transmission.
Celle qui donne la parole aux réfugiés
La foule dense s’écarte pour faire place à un caddie d'aéroport rempli de valises sur lequel est accoudée une marionnette à taille humaine qui déambule sur un fond de musique orientale. Deux hommes aux traits arabisants animent ce personnage de papier mâché sorti du désert. Derrière eux, d’autres donnent vie au creux de leurs mains à de petits animaux des sables. Je suis fascinée par la poésie des personnages, la délicatesse de l’artisan qui a façonné ces marionnettes. Une dame s’approche de moi, souriante, avec son tract : Marjan, le dernier lion d’Afghanistan. Elle me raconte cette histoire vraie du plus vieux lion connu sur Terre, ayant vu passer tous les gouvernements de son pays pendant presque trente ans, depuis sa cage au zoo de Kaboul. Les deux hommes en tête du cortège sont des réfugiés politiques ayant quitté leur pays à un moment où il ne faisait pas bon être artiste. Ils ont ramené dans leurs bagages cette histoire. La femme qui me parle leur a proposé d’en faire une pièce, elle en a fait la mise en scène.
Vous souvenez-vous du jour où vous avez décidé d’être comédienne ?
Ça ne s’est jamais vraiment fait, j’ai fait mon chemin au fil de ma vie…
Racontez-moi le jour où vous vous êtes dit : « Ça y est, j’y suis, je suis comédienne ! »
Jamais !
Et tout ça, grâce à qui ?
Si j’en suis là, au festival aujourd’hui avec cette magnifique pièce poétique, c’est grâce à l’école Jacques Lecoq. Une formation fantastique qui travaille au corps, puisqu’il est notre principal outil d’expression. Tout passe par notre corps, sa position, ses mouvements, ses formes, les expressions du visage… Je dois filer, ils ont avancé sans moi et ils ne captent plus mon Bluetooth pour la musique !
Le théâtre au service de notre humanité... La mise en scène, l’écriture et le jeu qui orientent le regard vers notre condition humaine, qui porte la lumière sur les variations sociales, politiques, religieuses allant du plus léger au plus grave, avec poésie. Les comédiens de tous âges, aux quatre coins du pays, font vivre le théâtre dans toute sa palette d’objectifs : faire rêver, réfléchir, rire, pleurer, dénoncer, révéler, rendre hommage...