Quand les instituteurs discutaient avec les villageois... (Alpes années, 1950 et 1960)
Voilà un extrait qui m'a fait sourire, le décalage culturel des protagonistes en a fait une mignonnerie.
« Quand j'étais enfant, les gens respectaient beaucoup les enseignants. Tout le monde venait demander de l'aide à papa, pour remplir des papiers ou même faire les piqûres. Il allait piquer les fesses et les épaules de tout le village et rentrait payé en gnôle. Autant dire que nous en avions une belle collection. Le médecin était loin, c'était un événement que de s'y rendre. Maman s'en rendit compte par une surprenante réflexion de villageoise.
Maman nous baignait régulièrement, mon frère et moi, au savon de Marseille. Aux beaux jours, dans le petit bassin derrière l'école, l'hiver, dans une grosse bassine avec de l'eau chauffée. Un jour de printemps, une mère, passant devant notre toilette, est venue demander inquiète à maman :
« Vos enfants sont malades ? »
- Ben, non, a répondu maman.
- Mais alors, pourquoi les baigner ?
Maman était bien étonnée.
- Nous, les petits, on les baigne que pour aller au docteur ! ».
C'est dire combien le docteur et la baignoire n'étaient pas dans l'usage de cette époque. En dehors de ces occasions, les gens faisaient « la petite toilette » : visage, aisselles et mains à minima.
Ce décalage culturel menait parfois à des scènes rigolotes.
Une autre voisine âgée avait interpellé mon père quelques jours après le 21 juillet 1969 :
« Vous y croyez, vous, qu'on a posé une fusée sur la Lune ?
- Beh, oui » a t-il répondu.
- Bah, vous êtes aussi couillon que mon Marcel ! Vous voyez bien qu'elle n'y est pas la Lune, là, dans le ciel ! »
...
Revenue lui demander son avis quelques jours plus tard, n'en démordant pas, elle lui rétorqua un nouvel argument : « Oh beh moi, j'irais pas ! Faudrait pas se poser sur le morceau qui tombe ! » Elle pensait que la Lune perdait des bouts quand elle n'était pas entière. Je ne sais pas si papa lui fit un cours d'astronomie dans la foulée... »
L'école de la République avait de beaux jours devant elle, pour instruire les enfants de ceux « qui n'étaient pas allés longtemps à l'école avant d'aller vite travailler »...
Image par Ann REYNAUD SEZNEC de Pixabay