Journal d'une expérience inattendue - Procès 4: procès meurtre sur dépositaire de l'autorité publique, jour 6
La neige au sommet du Ventoux souffle un petit air froid sur la ville ce matin. Arrivée tôt pour avoir une infime chance de pénétrer la salle d'audience, je suis surprise de constater qu'il n'y a pas foule sur le trottoir pour cette matinée d'audition de témoins. On pourrait penser que ce programme annonce encore un jour d'émotion attirant la curiosité, pourtant nous ne sommes pas nombreux. Les vacances scolaires ont débuté, ces congés peuvent être une chance pour moi. Gestion des petits-enfants pour les retraités, retour au foyer pour les étudiants, il se peut qu'il y ait moins de monde finalement. Ou à l'inverse, ces congés peuvent occasionner une plus grande fréquentation nourrie par une semaine d'articles de presse relatant l'avancée du procès, excitant la curiosité du public, sans oublier le temps libre offert aux étudiants. Pour le moment, j'attends l'ouverture du tribunal aux côtés des quelques figures identifiées en fin de semaine précédente : une jeune étudiante et sa maman, un couple de retraités, deux jeunes étudiantes impeccablement apprêtées, quelques armoires à glace... et toujours la même voiture de police au gyrophare allumé. Derrière les grilles, quelques jurés tracent leur chemin, les yeux fixés au sol. Certains m'aperçoivent et me saluent, sans gaieté. Ils sont graves, fatigués. La famille de la victime ne tarde pas à prendre le même chemin, dans cette même humeur lourde.
L'ouverture du portail n'engendre pas de course folle, seuls quelques uns pressent le pas. Sans pouvoir me l'expliquer, une petite foule soudaine et sortie de nulle part s'agglutine au portique électronique. Pendant que nous attendons notre tour de fouille, un flot de policiers en civil entre tranquillement par la seconde porte. Au fur et à mesure qu'ils saluent les gardiens d'un regard appuyé, mes espoirs d'entrer fondent comme neige au soleil...
Le parcours de sangles a été repensé : le couloir du public est plus étroit, aucun raccourci n'est plus possible au niveau de la porte, les policiers ont leur propre sangle d'entrée, tout comme les familles. Nous sommes clairement mieux contenus, filtrés, parqués. Le temps que le gardien s'installe pour ouvrir la salle d'audience, le nombre de collègues policiers se multiplie discrètement à notre droite. De l'autre côté, de nouveaux soutiens sont venus accompagner la famille de la victime. Si tout le monde a ramené de nouveaux soutiens, j'ai bien peur que nous autres, simples curieux, soyons cantonnés dans notre parc à public pour la matinée. Le gardien fait signe aux familles qui entrent les premiers, puis au petit groupe de journalistes, avant que ne s'engouffre le cortège dense des forces de l'ordre. Pour la première fois, le gardien interrompt leur passage, refusant l'entrée à une grosse poignée de collègues : « Nous ne pouvons pas faire un huis clos de policiers, vous êtes trop nombreux les gars. Il va falloir vous organiser. » Les refusés grognent et nous lancent des regards contrariés. Les six premiers de notre couloir (les mêmes « athlètes » performants que la semaine passée) entrent le front haut, fiers d'avoir décroché les rares places accordées aux lambdas.
J'y suis résolue, je vais attendre avec patience que la majorité d'entre nous se décourage d'ici trois quarts d'heure. J'ai pris l'habitude de m'équiper correctement : baskets confortables et sac à dos ergonomique. Quelques visages connus rejoignent notre file et s'étonnent de m'y voir. « Vous n'avez pas pu entrer ? Même en arrivant tôt ? » Je réponds par une boutade : « Je n'ai pas les gênes de rugbyman... ». J'avoue que ce matin je suis lasse, j'écoute plus que je ne papotte. J'écoute ces voisins inconnus échanger leurs supputations sur l'affaire et leurs opinions sur les peines méritées, à base de « il paraît que... ». Beaucoup s'étonnent que le tribunal n'ait pas pris plus de dispositions pour accueillir le public. Pourquoi ne pas avoir prévu de retransmission par écran géant dans le hall, ou dans une seconde salle ? J'avoue que je partage ce questionnement. L'audience est publique, certes, y a t-il pour autant un devoir d'accueil total ? D'un côté, se contenter de la salle actuelle, c'était prendre le risque de gérer des frustrations des deux parties si elles étaient venues chacune avec autant de soutiens. Il aurait été impossible de faire rentrer toutes les proches. D'un autre côté, les écrans géants risquaient de propager la tension des débats dans le hall, entraînant la gestion de potentiels conflits. Gérer les frustrations des personnes refusées restait peut-être le plus simple.
Une jeune maghrébine prend son mal en patience, son prof de droit leur avait conseillé de venir assister au procès. Nous discutons un peu de ses études, de ses convictions républicaines, de ses ambitions d'avocate, du mal qu'elle se donne pour financer son diplôme, de l'ambiance nationaliste délétère qui règne en amphi, de sa peur de la montée du communautarisme...
Une heure que le hall est immobile. Quelques uns préfèrent aller voir un procès en correctionnel ou quitter le tribunal. Je profite encore une fois du pilier pour m'adosser le temps d'avancer mon travail archivistique. Je me suis habituée à la ritournelle du gardien « Il n'y a plus de place, rentrez chez vous ». La journée ne fait que commencer, rien n'est joué.
La pause ressemble à d'autres déjà observées , lourde de peine et de colère. Les proches de la victime frôlent les murs. L'enregistrement rapide des journalistes m'apprend que le dépositaire n'est autre que le collègue et ami de la victime, présent sur les lieux du crime, le témoin principal. Bouleversé, traumatisé, son interrogatoire après la pause tiendra les auditeurs en haleine, mobilisera ses collègues. J'en déduis qu'il n'y a pas de raison que quiconque quitte la salle avant midi.
La reprise de la séance referme les portes de la salle d'audience au nez d'une dizaine de policiers venus en cours de matinée, estomaqués d'être ainsi refusés. Sur les bancs les quelques têtus remplis d'espoir que nous sommes patientons résignées.
La dame qui parle seule a repris sa place sur le dernier banc de marbre, son interlocuteur imaginaire l'occupe bien. Assise en tailleur plus loin, je m'occupe de mon travail tout en jetant un coup d’œil régulier à la porte. C'est étonnant comme cette salle où résonnent les micros ne laisse rien filtrer. Même pas un murmure. Rien d'autre qu'un silence opaque. Il pourrait s'y passer la pire des disputes, le plus grave des mouvements de foule, rien ne s'entendrait. Seuls les hublots des portes permettent aux gardiens de surveiller l'avancée des débats. De mon côté, je me demande si je ne devrais pas me prévoir un petit coussin car dans ce hall rien n'invite au confort et personne ne sort de cette salle.
Midi, le gardien ouvre la porte à la centaine d'auditeurs qui frayent leur chemin entre les caméras. Les perches micros attendent les avocats qui sortent sans empressement faire leur compte-rendu de la matinée. Me G. et Me L., de la partie civile partagent avec simplicité le drame vécu et raconté par ce témoin central.
Aucune restauration n'est installée aux abords du tribunal, un petit restaurateur pourrait y faire un investissement rentable pour nourrir les visiteurs et le personnel de ce grand palais. Pour se rassasier, il faut s'enfoncer dans la ville. Ainsi le flot d'auditeurs sort en masse du palais et emprunte le même boulevard, bifurque dans cette même petite rue entrant dans l'ancienne ville, puis s'éparpille silencieusement. Avec mon petit sandwich et mon envie d'aller au toilettes, je retourne au tribunal. Libérée de mon envie pressante, je m'assois sur un des bancs du hall et grignote discrètement mon sandwich. Après tout, le hall voit encore traverser des avocats, du public, autant rester en son sein. Le procès reprend dans une demie-heure, je n'ai plus qu'à attendre sans repasser par la ligne de départ. C'eut été trop simple, un gardien m'invite à sortir. Le tribunal ferme complètement, à moins que je ne sois journaliste... Ce doit être mon sac à dos, mon ordi et mes baskets qui induisent cette image. « Dans ce cas, il y a une salle réservée pour vous. » D'autres plus téméraires auraient peut-être tenté l'imposture, mais le moindre mensonge se lit sur mon visage alors je prends la direction de la sortie, dépitée.
Retour à la case départ, entourée des coureuses de compétition de tout âge, nez au vent et sourire en coin. La dame au bonnet, celle qui avait passé la première le portail en courant la semaine passée, est revenue avec une pochette et un stylo. Elle partage à qui veut son expérience de juré pour éclairer les curieux néophytes. Elle parle si fort qu'on ne peut pas ne pas recevoir son témoignage. Des retraitées rencontrées la semaine passée viennent à ma rencontre, prendre des nouvelles des audiences. Étonnées de mon échec matinal, j'en profite pour glisser à haute voix mon manque d'expérience en mêlées de rugby, « écraser les gens, c'est pas mon truc ». Ça fait glousser mes championnes de voisines. Un peu plus loin, une dame inconnue fait entendre à son groupe d'amis son avis sur l'affaire, sur la culpabilité des accusés. Je déplace mon regard vers les proches des accusés qui froncent les sourcils. La plus jeune grogne en aparté : « De quoi, elle se mêle ? Qu'est-ce qu'elle connait de l'histoire ? » La plus âgée d'entre elle la tempère : « Laisse tomber, tu ne pourras pas empêcher les gens de parler. Ne fais pas d'histoire, ça t'apportera plus d'ennuis qu'autre chose ! » Une semaine que ces trois femmes-là entendent tout et n'importe quoi sur leurs proches, des sentences proclamées à base de ragots. Une semaine qu'elles sont au cœur de la foule qui a déjà choisi la culpabilité pour les leurs. Une semaine qu'elles se font discrètes et qu'elles partagent à mi-mots leurs inquiétudes quant au moral des prévenus. A ce rythme-là, la proximité entre des badauds bavards et ces proches fatiguées de les entendre risquerait bien de créer une altercation. Une poignée de jeunes femmes rejoignent les trois proches et toisent celles qu'elles ont reconnues un peu plus loin. Les soutiens des accusés ne sont pas toutes amies... Cet après-midi consacré aux témoins déposant en faveur du principal accusé pourrait bien être à nouveau électrique.
Le gardien du portail traverse le parvis avec ses clés en main. Au plus il approche, au plus les marathoniennes s'écrasent sur le portail. Cette réaction agace l'homme qui demande à la foule de reculer. Elle obéit et fait un demi pas en arrière. L'homme aboie son énervement, le portail glisse automatiquement sur les côtés, ce type de comportement est dangereux. Il gagne quelques centimètres qui ne laisseront que de courtes secondes au portail pour se rétracter. Les pressés se bousculent pour se glisser entre ses battants. Toujours décidée à marcher calmement, j'entends une grande dame effarée qui s'étonne à haute voix de cette folie et annonce qu'elle ne participera pas à ce comportement indigne. Nous nous comprenons du regard et rejoignons tranquillement la masse houleuse qui attend le passage au détecteur. Il y a au milieu de cette foule serrée un monsieur en béquilles. Il ne risque pas de tomber tant il est pris en étau par ses voisins qui ne laissent pas de place à son pied en attelle. Je ne pense pas qu'il soit un curieux du procès. Les empressés ont oublié que le tribunal continue de vivre au rythme des audiences de commerce, de correctionnelle, des enchères, des affaires familiales. Les concernés venus à ces rendez-vous-là se trouvent prisonniers de ce barrage que les gardiens ont du mal à endiguer. J'observe un petit monsieur, âgé et silencieux qui parvient mystérieusement à remonter en tête de peloton telle une anguille.
Je commence à connaître l'eau du bain sans y mettre le pied... Trop d'enjeux médiatiques ont attiré trop de monde, attisé trop de curiosité et de détermination, je n'aurais pas de place au début de cette audience. Un bon nombre de policiers non plus, d'ailleurs. « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage » devient mon mantra. Je note tout de même que la jeune étudiante en droit de ce matin réussit à se glisser dans l'équipe des avocats de la défense qui l'ont prise sous leurs ailes.
Nous nous installons donc avec ma nouvelle partenaire d'attente, et papotons de ce procès qu'elle découvre à l'occasion de ses congés. J'entends un peu plus loin deux retraitées racontant leur matinée d'audience, elles sont marquées par la peine de ce collègue brisé à vie, sa difficulté à témoigner, à travailler dans un bureau où le moindre bruit le terrorise, sa difficulté à vivre tout simplement. Certes le tireur a tué la victime laissant sa famille dans un deuil insurmontable, mais il a aussi tué l'âme de deux personnes qui ne parviennent pas à sortir de leur état de choc : la voisine impuissante à sauver la victime et ce collègue impuissant à le protéger. Ce procès leur suffira-t-il pour reconstruire leur vie en miettes ?
La porte de la salle s'ouvre pour la pause sans qu'on ne sache qui a témoigné de quoi. Seuls les mâchoires serrées laissent deviner l'exaspération des policiers. Les journalistes n'enregistrent pas grand chose. Il plane une impression de statu-quo, d'impasse désagréable.
Je pense finir par laisser une empreinte sur le banc tant cette journée infructueuse est interminable. Ce qui me tient, au point au j'en suis en ce milieu d'après-midi ? La crainte de rater l'occasion. Mes enfants sont partis en camp, personne ne m'attend avant ce soir, j'ai le temps et de la patience à revendre, du boulot à avancer.
Seize heures, la porte s'ouvre avec fracas, une femme sort d'un pas très rapide en se tenant la bouche. Quelques mètres plus loin, elle cherche son souffle, gémit, pleure, cherche un appui, et se met à hurler. La policière, d'habitude toujours souriante, la suit inquiète puis fait des allers-retours entre cette femme effondrée et la salle d'audience. Que s'est-il donc passé pour mettre cette femme dans cet état ? Je ne l'ai jamais vue dans le public. Est-ce la témoin qui a craqué ? Discutant avec ma voisine de mon expérience de jurée et de l'émotion qu'il peut régner à la barre des témoins, j'entends le gardien proposer une place puisque cette dame ne reviendra pas. Découvrant que je ne suis pas une journaliste non enregistrée mais jurée de la session, il me propose d'entrer. La voilà l'occasion que je ne voulais pas rater. J'entre à pas de souris dans cette salle étouffante de moiteur et de tensions.
« Votre fils vient d'avouer devant vous, devant nous tous, qu'il avait tiré sur Mr M. Qu'est-ce que cela vous fait ? Que voudriez-vous partager avec nous ? Avez-vous quelque chose à lui dire, à lui ?»
La femme debout devant le président, qui est donc la mère du principal accusé, garde le silence un moment avant de répondre d'une voix posée qu'elle refuse d'y croire, que ce n'est pas lui le tueur, il le lui a dit. Le président est surpris par le manque d'émotion de cette maman qui ne s'adresse pas à son fils et quitte le tribunal en le regardant à peine, sans plus de commentaire.
Cette courte pause me laisse le temps d'observer que le président n'est pas en forme. Comme quelques jurés, il a le mouchoir à la main et les yeux humides. Le week-end pluvieux ne les a pas requinqués, au contraire, semblerait-il. Est-ce à cause de la météo ou des aveux de son client, mais Me B. est visiblement éprouvé.
Le magistrat principal annonce l'entrée de la sœur de l'accusé. Tout le monde se rend bien compte qu'elle sera la seule dans cette pièce à ne pas savoir que son frère a avoué. La jeune femme ne vacille pas et s'installe déterminée devant la barre avant de partager sa vision de son petit frère : un garçon calme et tendre jusqu'à l'adolescence, puis distant comme beaucoup de jeunes de cet âge. Ensuite, elle évoque l'affaire pour laquelle il est jugé : « Il est innocent, c'est une affaire truquée. » L'aplomb avec lequel elle parle d'« enquête maquillée », « de la part des médias », « de preuves accablantes mais aussi de choses qui posent questions », provoque des secousses d'indignation dans la salle. Elle, elle ne se démonte pas : le meurtre est atroce mais son frère est innocent. Derrière moi, des voix féminines contestent ses dires, la couronnent de noms d'oiseaux peu flatteurs et mentionnent quelques éléments qui dénotent qu'elles se connaissent.
Le président est las, ses assesseurs pensifs, l'avocate générale indifférente. Me B. pose son front dans sa main accoudée sur le bureau et débat discrètement avec sa consœur.
La cour questionne alors cette sœur quant à son interprétation des preuves : le téléphone qu'elle lui a donné après le meurtre ? « C'est un vieux qui trainait dans ma chambre, il s'est servi lui-même » Sur le fait qu'elle soit la seule à lui envoyer des messages les jours suivants ? Elle ne le savait pas. Sur son séjour en Espagne quelques jours avant la fuite de son frère vers ce même pays ? Une virée pour son anniversaire. Ses réponses sont posées et calmes. Elle évoque alors la possibilité d'un tir accidentel de la part du collègue policier. Voilà une hypothèse que les policiers ne peuvent pas entendre, ils le font savoir. Elle se retourne pour les regarder sans crainte et continue à se justifier posément. C'est le moment que choisit le président pour évoquer le retournement de situation récent :
« Et si je vous disais que votre frère reconnaissait les faits ?
- Je serais déçue, mais je n'y croirais pas. »
Même enrhumé et fatigué, il explique calmement les preuves qui s'opposent à l'hypothèse d'un « tir ami » avant de lui raconter les aveux réalisés en présence de leur mère. Elle n'échange pas un regard avec ce frère qui ne la quitte pas des yeux depuis son arrivée. Elle reste toujours sereine pour répondre à la question que lui pose le magistrat : « Maintenez-vous votre version d'enquête truquée ?
- Oui.
- Exposez-nous alors ce qui appuie votre thèse.
- Je ne sais pas, je ne connais pas le dossier.
- Sachez qu'un aveu n'est pas une preuve de culpabilité. Chaque témoignage participe encore à éclairer la vérité. Vous pouvez encore défendre votre version.
- Il est accusé à tort, je ne crois pas à sa culpabilité. »
Mr A. a à nouveau disparu sous les vitres de la cellule des détenus.
L'avocate de la partie civile ne manque pas de partager son étonnement devant le peu de réaction de cette sœur face à un tel aveu. Les échanges entre ces deux femmes révèlent aux jurés une relation fraternelle en réalité quasiment inexistante : très peu d'échanges, aucune visite à l'accusé depuis les faits. L'avocate enfonce le clou quand elle s'étonne du peu de mobilisation de la famille pour faire appel de l'incarcération préventive de ce proche innocent, du manque d'investissement des avocats à ce moment-là. Me B. et Me A. ne peuvent pas se laisser attaquer de la sorte sans répondre et font entendre leur mécontentement avec virulence. Me L., l'avocat de la famille de la victime, leur répond avec une force tranquille : « Qui panique réplique » donnant donc raison à leur hypothèse. Il l'avait pronostiqué au début du procès : tout le monde sait depuis le début que Mr A. est le tireur, même sa famille qui tente de faire croire le contraire. Devant les avocats qui s'écharpent, la sœur de l'accusé reste sur sa position : « Je ne crois pas à la culpabilité de mon frère. »
Pendant que la cour exploite les messages échangés entre Mr A. et sa sœur s'envoyant des titres de presse au sujet du meurtre et des références à une série policière racontant la fuite d'un meurtrier, les journalistes papotent sans discrétion, la famille de la victime digère les aveux qu'ils attendaient, et les jurés tentent de rester concentrés. Les journalistes, tête baissée, tapotent frénétiquement sur leur ordinateur. De ma place, j'observe leur écran : « Coup de théâtre au procès ». Ils ne perdent pas de temps, le texte est rapide, la mise en page aussi, le clic d'envoi encore plus. Certains vont naviguer sur les sites concurrents pour comparer leurs articles, puis vont sur leur page de statistiques voir en temps réel la réaction des lecteurs.
L'avocate générale demande alors à revoir le dossier de la reconstitution des faits et des commentaires adjoints. La défense s'exaspère, le président hausse un sourcil, il l'a déjà présenté dans son entièreté à la dernière audience. C'est une lecture de pièce conséquente qui est demandée mais il ne peut s'y opposer. Il entame alors la longue présentation, entrecoupée de toux et de mouchages. Visiblement cela laisse le temps à la procureure de compulser ses dossiers à la recherche d'une information. Serait-ce là une technique pour gagner du temps et sortir un lapin du chapeau ? L'assistance a sombré dans une certaine stupeur léthargique assimilant ces aveux refusés depuis presque trois ans, bercée par la voix monocorde du président, et attend le prochain regain de vitalité. Une silhouette nous distrait un peu, c'est une dessinatrice qui s'installe soudainement avec sa palette et ses pinceaux. Quelques traits de feutres, une peu d'aquarelle par ci par là, elle croque rapidement le portrait de l'accusé et de ses avocats.
Le président poursuit la présentation de pièces demandées par les parties, nous découvrons le dossier d'expertise informatique des téléphones de l'accusé, analysant des captures d'écrans : articles de presse, recherche de voyage en Espagne, de taxis, de transporteurs de colis, et la gestion contrariée de son commerce de stupéfiant... L'audience prend fin dans un silence monacale.
La tempête des aveux s'est calmée, la déposition de la sœur n'a convaincu personne, tout le monde est fatigué de cette journée de reprise intense.
L'assemblée sort groguie dans le brouhaha des journalistes micros en main et tenus à distance par le gardien. Ils trépignent d'entendre les avocats de la défense commenter ces aveux. Je reste dans les parages, curieuse de savoir ce qu'ils vont en dire et tend l'oreille vers cette petite mêlée bruyante. L'avocat explique que son client voulait avouer depuis plusieurs jours, le faire en présence de sa mère lui tenait à cœur.
L'ancienne jurée à la voix tonitruante s'incruste au milieu des journalistes. Bouleversée, elle démarre un live sur sa chaine de gilets jaunes pour commenter à son tour cette journée cruciale. Elle filme Me B. se faisant interviewer et tout en cherchant son nom. « Ohlala, je suis tellement toute tourneboulée que j'en perds mes moyens. »
Nous ne sommes qu'au première jour de cette deuxième semaine et ces aveux donnent déjà une nouvelle intensité à ce procès. Je me demande dans quel état d'esprit la famille va rentrer chez elle, maintenant que l'accusé reconnaît avoir tiré sur leur fils / frère / père. La cour lui donnera la parole demain. Quels mot trouveront-ces proches endeuillés pour raconter le drame, pour expliquer le malheur qui a fracassé leur vie ?
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