Journal d'une expérience inattendue - jour 1 au tribunal
M'y voilà, vendredi matin, neuf heures, je suis entrée pour la première fois dans le tribunal!
Passé le portail de sécurité, le hall est immense, blanc, lumineux, calme, humanisé par quatre ficus verdoyants. Quelques familles et individus cherchent leur chemin, une poignée d'avocats traverse la salle l'air concentré. « Salle Voltaire, au fond ! » m'indique une dame de l'accueil. Quatre bancs en marbre sont déjà occupés par des gens de tous âges, d'origines différentes, silencieuses et discrètes. Tout le monde se jette un coup d’œil, neutre, comme une recherche de repère pour réaliser ce qui nous arrive.
Les procès ne commenceront que lundi. L'ordre du jour n'a pas été annoncé, ni la durée de présence requise. Je ne sais pas grand chose, néanmoins quelques éléments m'ont permis d'imaginer la teneur des procès. La grande enveloppe blanche de novembre renfermait, avec le courrier officiel de convocation, le programme des procès prévus, les noms des accusés, les chefs d'accusation, les avocats. Nous attendaient donc :
- deux jours pour un accusé de tentative de meurtre
- trois jours d'un procès en appel pour un accusé de meurtre
- deux jours pour un accusé de tentative de meurtre
- deux semaines pour trois accusés, de tentative de soustraction de suspect aux forces de l'ordre, un meurtre sur personne dépositaire de l'autorité publique, et recel de suspect.
La configuration du dernier procès m'a mis la puce à l'oreille : un policier tué, une tentative de fuite... ça parle trop pour qui connaît Avignon et sa banlieue. Un ami m'a signalé le nom d'un des avocats très connu pour défendre les indéfendables. Une recherche sur internet par les noms des accusés a fait rapidement apparaître des unes de journaux, confirmant mon intuition. Les Avignonnais avaient suivi l'affaire de près : un policier tué lors d'un contrôle inopiné de transaction de stupéfiants dans le quartier touristique de la ville, en plein jour, la traque dans la banlieue et l'arrestation avant la fuite vers l'étranger. Avec les règlements de compte entre dealers locaux des derniers mois, je suis loin d'être rassurée à l'idée d'être affichée dans cette affaire.
« Appel des jurés ! Veuillez entrer dans la salle d'audience en montrant votre convocation et votre carte d'identité ! » Deux policiers vérifient minutieusement les papiers, fouillent les sacs et nous font passer un par un sous un portail de détection.
La salle est grande, mais pas immense. Une centaine de sièges répartis de chaque coté de l'allée centrale font face à une estrade meublée d'un bureau continu et de neuf sièges à haut dossier. D'autres bureaux de part et d'autre, deux pupitres en contre-bas et une annexe complètement vitrée complètent la scène des débats.
Nous nous asseyons en silence, tous éloignés les uns des autres. Chacun semble vouloir garder une distance de sécurité avec cette quarantaine de compagnons de galère inconnus. Tout le monde se plonge dans son téléphone pour faire passer le temps, car il ne se passe rien.
Deux femmes souriantes prennent place devant nous. Mesdames les greffières ânonnent nos identités auxquelles répondent des « présent ! » puis nous présentent les modalités et nos obligations administratives. Le président du tribunal et un avocat général devraient arriver pour nous exposer le cadre de notre mission. « Attention quand vous entendrez la sonnerie, il faudra vous lever pour accueillir le président ».
De longues minutes passent, toujours silencieuses... J'ai le temps de tenter d'analyser le propos de l'artiste auteur de la longue tapisserie murale qui surplombe l'estrade. Je n'ai pas trouvé ce que symbolisait ce motif contemporain géométrique rythmé de rouges et de bleus. Guère esthétique à mon goût, cependant, au moins, elle colore cette salle de bois et de blanc, austère.
Le temps passe, encore...
Une sonnette discordante nous sort de notre torpeur.
Que le spectacle commence !
Un grand monsieur, droit, vêtu d'une robe rouge et noire, entre d'un bon pas pour rejoindre le siège central de l'estrade. Sa coiffure réalisée au peigne, sa moustache et ses petites lunettes rondes me font penser aux Brigades du Tigre, un air de début de XX° siècle. L'air ni méchant, ni sympathique pour autant, il salue l'avocat général positionné à son extrémité gauche et donne le départ des procédures. « La valse des robes noires » dont il est à la fois le chorégraphe et le chef d'orchestre.
La lecture protocolaire de nos identités est rythmée par des « présent ! » ou des silences suivis d'une lecture de mail d'excuse. Les deux hommes statuent sur le sort des absents selon un dialogue ampoulé de formules toutes faites et d'une politesse mielleuse : rappel à l'ordre, amende, envoi des gendarmes ? Certains appelés s'avancent devant ce juge qui nous domine par la hauteur de l'estrade pour demander une dispense. Le motif n'aura rien de discret car il sera répété dans le micro (sauf description de cas médical délicat). Encore un ou deux échanges verbaux, qu'auraient pu accompagner des courbettes, finissent de me laisser la sensation d'assister à un spectacle d'un autre temps.
Le président et l'avocat général quittent la salle pour statuer sur les demandes de dispense, nous devons donc encore une fois nous lever, parce que c'est ainsi !
L'attente silencieuse reprend son cours et cette tapisserie ne m'inspire toujours pas.
Driiiiiiiiiing, la vieille sonnette de l'école Jules Ferry ! Tout le monde se lève pour le président, et écoute le sort choisi pour chaque dispense. « Voilà ! Nous allons pouvoir passer à la suite ! »
Cet homme que je n'aurais su qualifier ni de rigide, ni de chaleureux, prend soudainement un regard plus animé et nous rejoint sur le parterre des anonymes. « Vous voilà appelés pour le dernier devoir de citoyen de la République Française ». Une flamme de l'amour de la justice porte son discours et m'emmène avec lui dans l'intérêt de cette fonction qu'il décrit républicaine, démocratique et juste. Assisté de l'avocat général et des deux greffières, il répond à toutes nos questions. Je lui découvre alors une âme de grand-père chaleureux, portant en lui la sagesse de l'expérience teintée de pédagogie.
Une seule question me vient : « Sera-t-on amenés à croiser dans l'entrée ou le hall, les familles des accusés ou des victimes ? » Je ne l'avoue pas, je crains l'intimidation. Lui n'est pas inquiet sur ce sujet. Un espace privé sépare le jury du public pour toutes les commodités de la journée. En revanche, une seule porte donne accès au tribunal, pour tout le monde, personnel judiciaire compris ! « Ça ne sera pas un problème, un badge fera office de coupe-file. Enfin, sauf pour le grand procès de deux semaines, là, il faudra être vraiment vigilant et n'adresser la parole à personne ! » Voilà un procès qui s'annonce chargé en tensions !
Il est midi, monsieur le président nous souhaite un bon week-end et pour l'heure, je me sens assez prête pour affronter lundi. Je suis soulagée de savoir qu'au moins ce week-end je dormirai sereine! Au moins ce week-end... car pour la suite, je ne présume de rien !