du moins le pensent-elles...
Les dispensateurs de conseils en biographie avertissent les néophytes en des mots proches de ceux-ci : « Votre clientèle sera majoritairement masculine. Les hommes ont eu une vie sociale et professionnelle riche. Vous écrirez plus rarement pour des femmes. Elles ont fait, ou pas, des études, se sont mariées et ont eu des enfants. Parfois elles ont eu un travail, mais pas assez valorisant pour en parler. Elles pensent ne pas avoir grand chose à raconter. » N'est-ce pas caricatural ? Et bien, dans la réalité, ce n'est pas loin d'être vrai pour l'expérience que j'en ai.
Les femmes que j'ai racontées participaient à une biographie de couple. Hommes et femmes racontent facilement leur enfance, plus ou moins joyeuse. Hommes et femmes racontent leur soif de liberté à l'adolescence. Puis ils arrivent à leur vie d'adulte : défis, réussites, ascension professionnelle pour l'un et maternité, éducation, maison pour l'autre. Ces femmes de plus de soixante-quinze ans connaissent par cœur le récit palpitant de leur mari et montrent plus de réserve à raconter le leur. Souvent, l'évolution des équipements pour le ménage et le bébé ouvre la discussion. Les journées bien remplies par le nettoyage à la main, la cuisine, les courses, les enfants qui grandissent et parfois le travail entament le récit d'une vie qui leur semble manquer de gloire. Monsieur admet en souriant que madame a beaucoup géré, enduré et qu'elle mérite une médaille.
Et puis, au fil des entretiens viennent des sujets plus sensibles comme le silence de leur mère sur l'éducation sexuelle, le regard intrusif du village sur leurs sorties ou leurs fréquentations, celles qui sont tombées enceinte sans comprendre comment, le mariage promesse de liberté et la première grossesse vite découverte qui empêche de travailler quelques années, les jours qui se ressemblent, le regard intransigeant des patrons, la nécessité de faire ses preuves encore et encore, d'être toujours tirées à quatre épingles, aux rênes d'une maison pimpante... Elles savent que leur vie ne compte peut-être pas beaucoup d'évènements exceptionnels mais qu'elle cache bien des luttes invisibles pour répondre aux attentes de la société. Elles y ont répondu : des enfants bien éduqués, une maison bien tenue, une allure toujours impeccable et une sacrée résistance au travail. Tout ça pour n'avoir « rien de bien intéressant à raconter » ni de leur ambition, leurs renoncements, leurs rêves, leurs satisfactions, leur ingéniosité, leurs convictions, leurs joies, leur détermination ?
Allons mesdames, démentez cet état des choses et racontez ce que la société a pu qualifier de vie « sans gloire ». Il est temps de mettre en lumière le courage de toutes ces vies de femmes « ordinaires ».
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