Début-milieu XX° siècle
Les vieilles maisons résonnent des histoires de leurs multiples occupants. Elles ont abrité des jeunes couples portés par leurs rêves, des enfants pleins d'énergie, des disputes, des rires, des pleurs, des déceptions, de la tendresse... Ces vieux murs ont été bâtis par un homme qui construisait l'avenir. Depuis, ils ont été mouillés par des années de pluies, brulés par des décennies de soleil, balayés par des milliers de bourrasques de vent. Chaque occupant lui a insufflé ses nouvelles envies, ses nouveaux besoins, sa touche de modernité. Dans leur jus ou restaurées, ces anciennes constructions ne demandent qu'un peu de respect et d'attention, parfois d'ambition ! J'aime écouter leurs histoires.
Celles de la ferme du XVI° siècle achetée par ma tante m'avait régalée. Et aussi étonnée, quand elle me raconta ses derniers occupants. Puis cette histoire surprenante, je l'ai entendue encore de deux autres raconteurs. Visiblement, le manque d'argent avait engendré une pratique aujourd'hui disparue. Tout du moins, je ne connais pas pareil cas.
Jeunes couples désargentés, retraités, petits ouvriers, il était visiblement assez courant de partager une maison. Je ne parle pas de colocation d'étudiants, non, mais de maison partagée par plusieurs familles. L'une avait une chambre et la cuisine, l'autre une chambre et le salon. Ces derniers arrangeaient une plaque de cuisson à côté d'un petit robinet en guise de cuisine. L'une utilisait la salle de bain, l'autre se lavait à la bassine. L'une des deux traversait la frontière invisible du couloir ou de l'escalier pour utiliser les toilettes situées chez l'autre. Quand une grand-mère n'occupait pas une chambre du fond, et une chambre uniquement, de laquelle elle sortait par la fenêtre grâce à un tabouret. C'est une vie quotidienne « particulière », que de partager une maison, de partager un lieu d'intimité.
Dans certains récits, les colocataires vivaient portes fermées, se disputant le balayage de l'escalier partagé pour moitié. Dans d'autres récits, les colocataires sont devenus amis, vivant parfois les portes ouvertes pour discuter, jouer aux cartes et laisser les bébés jouer ensemble. Ces jeunes parents-là étaient juste heureux de ne plus être sous le toit et sous le joug de leurs parents. Après une crise économique mondiale, deux guerres et une occupation, la grande majorité des familles offraient ce qu'elles pouvaient à leurs enfants : maigres repas, habits d'occasion, peu de jouets, pas de vacances et beaucoup de sévérité. Pour la génération après guerre, le travail avait été la clé de la liberté. Leur petit salaire leur avait offert un toit loin de l'autorité parentale, un toit partagé mais sans compte à rendre à personne. Et ça, ça n'avait pas de prix.