Hautes-Alpes, années 1690's
La raconteuse du jour se souvient d'une enfance douce et heureuse, au rythme des jeux et promenades, dans les champs sans barrière ou sur les routes sans voiture. Les enfants n'avaient pas peur de grand chose. Tout était calme et tranquille dans le village. Si! Une légende alimentait la peur des enfants. Elle parlait d'un loup qui avait dévoré un ancien de la famille, parti faire ses besoins au cabinet extérieur, la nuit près du bois, à côté de l'école. Une peur classique. Mis à part cela, ses images d'enfance sentent le foin, le bois et l'encre.
Pourtant si, en y réfléchissant bien, une peur particulière et secrète l'avait tenaillée quelques temps. Oui, petite, elle craignait de se retrouver seule à la maison pendant les courses de ses parents. Parfois, dans le silence qui n'était pas couvert par le bruit de la télévision absente, un vrombissement remplissait la pièce. Un vrombissement lointain qui montait peu à peu et l'encerclait quelques minutes. La panique. Qu'annonçait ce bruit sourd et continu ? Dans sa tête, résonnaient des témoignages de journalistes entendus à la radio racontant l'horreur. La rupture du barrage de Fréjus (2 décembre 1959). Le tremblement de terre d'Agadir (29 février 1960). Elle s'en souvenait bien des descriptions catastrophiques de ces pauvres villes anéanties. Elle avait imaginé les maisons cassées ou noyées, les familles endeuillées, avec son flot de peur et de tristesse... Ses parents ont même évoqué l'idée d'accueillir de pauvres orphelins chez eux.
Ce vrombissement fort et ambiant, à chaque fois, pour elle, c'était son heure. Peut-être un séisme ? Les Alpes en ont connu. Peut-être une rupture du barrage de Serre-Ponçon ? Il est réputé indestructible, mais, après tout, qui peut le garantir ?
La panique dans la tête, la panique dans le corps. Celle qui accélère les secondes, la même qui suspend le cours de la vie.
Ce vrombissement qui l'entoure et personne pour la sauver quand la maison se brisera. Personne pour la sauver quand la vague la submergera. C'est tellement triste de mourir si petite et seule.
Puis le vrombissement s'atténuait, peu à peu, jusqu'à disparaître.
Ce bruit inexplicable, inconnu, revenait régulièrement. Cependant, la notion de temps, dans la tête d'une petite fille, ne tient pas les calculs de jour et d'heure. Quelques mois passèrent avant qu'elle ne comprenne. L'objet de son angoisse tirait derrière elle avec la plus grande peine du monde, les wagons du train Briançon-Marseille, dans la montée d'un col. Le moteur de la locomotive en surchauffe résonnait d'une montagne à l'autre jusque dans son salon. La menace n'avait été qu'imaginaire.
Sans aucun doute s'est-elle sentie soulagée, mais peut-être s'est-elle aussi sentie un peu bête d'avoir imaginé le pire à cause d'un train ? Peut-être même a t-elle souri, après ça, chaque fois qu'elle a entendu le train passer au loin !
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