Le jour où l'armée l'attendait de pieds fermes (Illinois années 1950)
Sur la route vers une nouvelle vie à Chicago, au volant de sa voiture avec son ami Albert en passager, Pierre fit un petit détour par la base militaire de Fort Bening. Il savait pouvoir y retrouver une amie française. Jacqueline était la sœur aînée de son ami Robert qui le logeait à Paris et avec qui il avait partagé la table familiale. Elle s'était mariée à un soldat américain, Joe, et l'avait rejoint en Arkansas.
Pierre avait passé plusieurs appels à la base pour prendre de ses nouvelles mais, chaque fois, la réponse restait évasive. Il fallut de nombreuses explications avant d'obtenir enfin l'autorisation de s'y rendre.
La base militaire était immense. Des MP (military police) au crâne rasé, baraqués et peu souriants escortèrent Pierre et son compagnon de voyage jusqu'à un bureau. Ils attendirent sagement, un long moment, avant que les MP n'emmènent Pierre, seul, dans une autre pièce répondre à un interrogatoire en bonne et due forme. Il comprit en fin de compte que Jacqueline avait disparu. D'autres militaires imposants l'accompagnèrent sur les champs d’entraînement où Joe vint à sa rencontre. Pierre, heureux de retrouver son ami, fut étonné de le voir arriver au pas de charge en aboyant d'un ton agressif : « Jacky... ! Jacky... ! » Les accusations évoquaient son arrivée à New-York et Pierre comprit que l'armée avait surveillé les faits et gestes de cette jeune immigrée française. C’était la guerre froide, l’État américain se méfiait de tout ce qui pouvait venir de l’Est, d'autant plus si l'immigrée intégrait une base militaire. Le rapport avait informé son mari qu'elle avait retrouvé un homme dans un bar et avait promené avec lui sur la Cinquième Avenue, le laissant penser que Pierre avait été son amant ce soir-là. En réalité, Jacqueline avait demandé à son ami de la récupérer au port avec ses enfants et de les emmener visiter la ville. C'est ce qu'ils firent après avoir bu un chocolat chaud à l'hôtel avec les petits. Le lendemain matin, il les avait déposés au bus. Rien de plus !
Pierre répondit à son ami américain : « Mais, elle est trop vieille pour moi ! Et puis, j'ai mangé à sa table de famille, avec son père à Paris ! C'est comme ma propre famille ! " Joe avoua qu'elle était partie après une dispute pour retrouver un autre Jules, inconnu. Pierre n'en revenait pas. Jacqueline... Celle qui lui avait offert un de ses premiers jobs, elle était comme une grande sœur. Comment avait-il pu croire qu'ils avaient pu être amants ? Réaliser qu'il avait été surveillé par les renseignements américains lui fit froid dans le dos !
Pierre repartit triste pour son ami esseulé et déçu de ne pas avoir retrouvé Jacqueline. Son compagnon de voyage, à la fois rieur et stupéfait, lui dit sur le chemin du retour: « Tu ne me ramènes plus jamais dans une histoire pareille ! »
Image par Daniel de Pixabay