Celle qui avait vu un ange / Celle qu'on avait tenté de dissuader
Un ciel gris et lourd couvre la ville, l’orage de cette nuit n’a pas fait ses valises. Est-ce lui l’auteur de la panne des feux rouges et de la panique autour des remparts ? Les festivaliers et les touristes auront-ils le courage de se balader sous ce ciel orageux ? L’équipe radio va-t-elle maintenir l’enregistrement public ? On verra bien.
En remontant la rue Magnanen, une file de poussettes occupe le trottoir. Les mamans, les bébés et les petitous attendent leur tour pour entrer dans ce petit théâtre couvert d’affiches colorées. Et oui, il y en a pour tous les goûts à Avignon : littérature classique, humour, stand-up, comédie musicale, subversif, politique, romantique, poétique et spécial enfant ! Il faudra que je croise un de ces comédiens qui aiment faire rêver les plus jeunes…
Le studio est là, le ciel se découvre un peu et les quelques rayons du soleil qui percent chauffent déjà la place. Comme chaque matin, la troupe de claquettes fait résonner leurs pas endiablées sur une musique rockabilly. Les quatre danseurs de la comédie musicale d’après-guerre ont une pêche d’enfer. De bon matin, ils donnent une énergie folle aux buveurs de café installés aux terrasses.
Celle qui avait vu un ange
Un chroniqueur local vient présenter ses coups de cœur pendant qu’une tracteuse singulière aborde mon voisin. J’attends mon tour, son costume du XVIIIème siècle vert et crème, son ombrelle en crochet à laquelle sont suspendus ses tracts « contes libertins », son chignon d’époque, son rouge à lèvre pétard, tout attise ma curiosité. Elle est bien contente de savoir que ses promenades quotidiennes en costume attirent le regard. Ses Contes Libertins sont des textes interdits de Jean de La Fontaine, des textes osés critiquant la société. Joués dans le secret des salons privés, reniés par son auteur sur son lit de mort sous peine d’excommunication, bien sûr, ils n’ont jamais été étudiés à l’école. Quelque chose dans son regard, sa gentillesse et sa sympathie me rappellent Marie-Anne Chazel. Le courant passe facilement.
Vous souvenez-vous du jour où vous avez décidé d’être comédienne ?
« Oula oui ! Avec ma sœur, nous étions dans une école de sœurs. Quand j’étais en maternelle, un jour j’ai vu ma sœur sur scène jouer un ange, j’ai eu un coup de cœur pour ça : la scène, les costumes, le jeu… Je me suis dit que c’est là que je voulais être. Ça n’a pas été facile, j’ai fait ce que je pouvais pour me former et percer. La vie a fait qu’il y a eu des moments où j’ai mis cette activité en retrait, mais j’y suis toujours revenue. »
Racontez-moi le jour où vous vous êtes dit : « Ça y est, j’y suis, je suis comédienne ! »
« C’est une question difficile, peut-être finalement le jour où j’ai reçu mon attestation » professionnelle.
Et tout ça, grâce à qui ?
« Je dirais, sans prétention, grâce à moi. Au départ, je devais être pianiste, mon entourage disait que c’était une sécurité pour, au pire, être professeur de piano. Mais étrangement, je sabotais mes auditions et mes concours. Il m’a fallu du temps pour accepter que ce n’était pas ma voie et écouter mon sentiment qui me poussait au théâtre, malgré l’avis de la famille… Avant de monter sur scène, j’ai le tract, mais rien à voir avec la panique des concours de piano. Là, c’est un bon tract. Une fois sur scène, je me sens en confiance, détendue. J’y suis comme dans ma baignoire. C’est donc mon envie et ma motivation qui m’ont permis d’être là aujourd’hui ! »
La dame repart avec son ombrelle sur l’épaule, marchant telle une courtisane d’un passant à l’autre.
Celle qu'on avait tenté de dissuader
Vient s’asseoir sur le banc une jolie femme avec un magnifique kimono à fleurs graphiques. Typée méditerranéenne, les cheveux en queue de cheval, une silhouette sportive, et un sourire radieux, elle répond par l’affirmative à l’assistante venue lui demander si elle est bien Elisa.
Un visage familier associé à ce prénom… ne serait-elle pas cette star vue dans un reportage télé présentant son dernier spectacle qu’elle joue au festival ?
L’accueil de l’animateur confirme mon doute, il souhaite la bienvenue à Elisa Tovati, découverte dans la Vérité Si Je Mens. Toute en douceur et en bonne humeur, elle présente son spectacle musical composé de chansons de cinéma et de projections artistiques. A Capella, l’invitée chante Alabina et capte l’attention des passants. Oserais-je l’aborder ? Une femme qui semble bien être son agent la couve du regard, elle et ses autres poulains qu’elle fait passer au micro ce matin. Allez, j’ose.
Vous souvenez-vous du jour où vous avez décidé d’être comédienne ?
« Oui, j’avais dix, onze ans. Ma mère recevait une amie comédienne à la maison. Elle me fascinait. Toutes les deux, elles ont voulu me dissuader de choisir ce métier, alors j’ai décidé que ce serait ce que je ferais ! »
Racontez-moi le jour où vous vous êtes dit : « Ça y est, j’y suis, je suis comédienne ! »
« C’est simple : jamais ! Même encore aujourd’hui, chaque matin, je me remets en question. Et en plus, être une femme et prendre de l’âge, dans ce métier ça n’aide pas à trouver sa place… On me dit de profiter de ma célébrité, mais ça n’est pas si simple. »
Et tout ça, grâce à qui ?
« Je dirais les retours des spectateurs, le regard du public enthousiaste, ça permet de garder la motivation, de se dire qu’on peut continuer, trouver un nouveau projet ! Comme ça, je vais d’un projet à un autre et j’avance ! »
Hier, son album qui a inspiré son spectacle est passé disque d’or, le genre de nouvelle qui donne des ailes pour se lancer dans de nouvelles aventures. Ces gens-là que l’on voit sur grand écran, à la télé, dans les magazines, semblent remplis de leur réussite, sereins et confiants. Ces confidences honnêtes d’Elisa Tovati offrent une vision humaine et sincère de la condition de comédien : même touchés par le succès, le parcours de ces artistes n’est pas tracé, la suite reste toujours remise en jeu.